Nous avons quitté Stuttgart
en train le 8 juillet 1945 pour aller occuper le village d'Erpolzheim.
Il y avaient plusieurs femmes sur le quai, en larmes, venues assister
au départ des petits français qui avaient eu beaucoup
de succès auprès d'elles. En deux mois et demi,
de solides amitiés s'étaient nouées. Le capitaine
les a fait refouler, il ne voulait pas voir d'attendrissements.
Il faut savoir que les hommes étant mobilisés les
femmes allemandes étaient en manque d'amour, et comme les
français, parait-il, s'y connaissent !!!! je vous laisse
à penser la suite.
Nous n'avions pas grand-chose
à faire, inventaire de matériel et garde, le soir
jouer aux cartes et lire. Rien de particulier dont je me souvienne,
J'ai pris quelques photos de cette période qui me remettent
les lieux en mémoire. Nous étions logés chez
l'habitant, autant dire une vie plus agréable qu'en caserne.
Au mois d'août, j'ai dû être hospitalisé
pour une jaunisse. Ce séjour a été suivi
d'une permission de convalescence fin août que j'ai passée
à Bécon chez mon oncle Alfred, à Thomery
chez ma tante Claire pour le baptême du premier enfant de
ma cousine Jacqueline et à l'Isle Adam chez ma tante Germaine
avec mes cousines Nicole et Françoise. J'ai visité
l'exposition de l'armée de l'air au champ de Mars avec
un ancien des OAA : Ribairon. Comme je n'étais pas bien
remis, une visite médicale à la caserne Desaix m'a
valu une prolongation de convalescence pour le mois de septembre.
De retour à la compagnie, j'ai repris ma vie monotone et
préparé notre prochain déménagement
pour une destination que nous espérions tous depuis longtemps
: Berlin. Nous y serons d'octobre 1945 au 9 mai 1946.
Hôpital et convalescence
1945
Je ne me souviens plus où
nous avons pris le départ, mais le grand jour est arrivé.
Nous voilà partis en train de marchandises au comble de
la joie, cahin-caha, suivant l'état des voies ferrées.
Au cours d'un arrêt dans une gare de triage en zone US,
notre train se trouve rangé au milieu de rame de ravitaillement
américain. Aussitôt, comme des moineaux, quelques
soldats français s'égaient entre les voies à
l'affût de possibles récupérations. Ils ont
ramené des sacs de sucre en poudre, des chaussettes et
des sous vêtements. Comme j'étais toujours armurier,
j'étais dans le wagon attribué au ravitaillement
dans lequel j'ai caché des sacs de sucre et des chaussettes.
Les officiers se sont aperçu de ce qui se passait et y
ont mis le oh là. A partir de la zone russe, nous roulions
sur un seule voie, l'autre partie ayant été déposées.
Notre pillage des trains américains avait été
repéré, et à notre arrivée à
Berlin, la maréchaussée nous attendait sur le quai.
Les gendarmes ont perquisitionné le train et ont retrouvé
des sacs de sucre dans les wagons des hommes de troupe, ils n'ont
pas fouillé notre wagon où tout était empilé
par dessus les sacs qui nous avaient été confiés.
Nous avons été dirigés vers notre lieu de
cantonnement à Witteneau
dans la banlieue de Berlin. Nous logions dans des baraques en
bois qui avaient hébergé des travailleurs italiens.
Comme armurier, je n'avais pas à prendre les gardes. En
plus de la garde et de l'entretien du matériel, je m'occupais
à bricoler, par exemple, je faisais des étoiles
CFP, avec des douilles d'obus anti chars, pour les fanions des
sections., des insignes de la 3e DIA
et de la 1e armée, je les ai encore. Je préparais
des munitions pour l'instruction. Je les ouvrais en long à
la scie afin d'en avoir une vue interne. La balle retirée
et la poudre enlevée, l'amorce percutée. J'ai bien
manqué me blesser gravement. J'avais commencé à
scier, comme ça ! une cartouche de 12,7 quand je me suis
avisé du danger, je la vide, et je reprends la scie. Quand
je suis arrivé sur l'amorce, celle ci a explosé
et m'a éraflé la main avant de terminer sa course
dans mon chandail. Le capitaine voulait me faire un déclaration
de blessure, ce que j'ai refusé étant donné
que c'était une erreur de ma part.
Le soir nous prenions le tram pour aller à Berlin,
puis le métro pour nous rendre au foyer américain
où l'on dégustait des beignets et du café
au lait gratuitement. Chez les anglais, il fallait se faire inviter.
Nous attendions devant la porte qu'un Tommy sympa se présente
et nous fasse entrer. Nous nous regroupions entre copains pour
aller au restaurant et ensuite au salon de thé où
nous pouvions manger pour pas cher. Ensuite, nous allions finir
la soirée dans des boites de nuit.
Nous faisions du tourisme dans les secteurs américain et
anglais, mais il fallait éviter celui des russes au risque
de se voir dévalisé. Un soir un camarade s'est fait
accoster par un russe qui en voulait à son porte feuilles.
Il a eu la chance qu'un officier russe de passage le tire d'embarras.
Une autre fois des français se sont égarés
en secteur russe voisin du notre. Ils ont été dépouillés
de tout ce qu'ils avaient sur eux et il a fallu aller les récupérer.
A cette époque la porte de Brandeburg était
le lieu du marché noir. On y échangeait de tout.
Les soldats russes avaient les poches pleines de marks d'occupation
et ils étaient acheteur principalement de montres. J'en
avais une qui ne marchait plus, elle se bloquait après
quelques minutes, je l'ai vendue 100 DM. a un soldat russe et
j'ai vite disparu. On a raconté l'histoire du russe assistant
à la projection d'un film et criant «houri, houri»,
quand il vit sur l'écran une montre au bras d'un acteur.
Notre quartier était
le camp Liautey.
Nous avons eu des appelés de la classe 43 pendant quelques
mois. Nous avons dû procéder à leur instruction.
Séances de tir et autres manoeuvres. Ils nous quitteront
fin avril 46. La section de commandement formait une bonne équipe
de rigolards et on ne s'ennuyait pas. L'esprit de camaraderie
était encore là. Nous avions toujours le capitaine
Doumenc comme commandant de compagnie et les mêmes sous
officiers depuis le début de la campagne. Certains venait
du 7 ème RTA qui avait été dissout à
la formation du 49 RI.
Au mois de novembre 1945, le capitaine Doumenc qui m'avait
à la bonne m'a poussé à préparer le
peloton de sous officiers comme candidat libre. Je me suis mis
à potasser le règlement « La discipline
étant la force principale des armées....etc »,
j'ai oublié la suite..... Je réussis à l'examen
et nommé sergent le 13 décembre 1945. J'ai appris
la nouvelle la semaine de Noël, et comme de bien entendu,
pour les fêtes, j'ai dû prendre ma première
garde, comme chef de poste au quartier. J'avais maintenant accès
au mess des sous-offs qui se tenait dans un appartement en dehors
du camp et je pouvais avoir une chambre en ville.
J'ai arrosé mes galons à Noël. Etant de garde à midi, je suis allé déjeuner après les autres et je me suis trouvé à table avec l'adjudant. A la fin du repas le cuistot nous met une bouteille de rhum sur la table, nous l'avons descendue à nous deux. Comme à Stuttgart, le retour au quartier a été laborieux, les copains me voyant dans cet état on tout essayé pour me dessoûler, il m'ont fait boire du café archi salé, je les entends encore dire « ben mon salaud ! qu'es qu'il tient, il arrive à boire ça! avec le sel qu'on a mis ! ». Je l'ai avalé d'un trait et me suis écroulé sur le lit que j'avais gardé dans mon atelier d'armurier. J'ai dormi plus d'une journée, le lendemain c'est le lieutenant Decomble qui m'a réveillé en me rappelant que je devais terminé une étoile pour le fanion de la section.
Dans les jours qui ont suivi,
Juste en face du quartier j'ai trouvé une chambre avec
salle de bains. La propriétaire toujours très correcte
était veuve de guerre, son mari étant mort sur le
front russe.
Maintenant, je devais assumer mon nouveau grade et je prenais
plus souvent les gardes. Début avril 1946 nous avons été
mis en alerte pour les premières élections allemandes,
il n'y a pas eu d'incident. Le 11 avril, notre compagnie a été
désignée pour rendre les honneurs à l'arrivée
du général Catroux sur l'aéroport
de Tempelof. (à cette époque j'ignorai qu'il avait
été avec mon père)
Nous devions défiler avec les alliés pour le premier anniversaire de la capitulation allemande. Répétition au quartier Napoléon, ancienne caserne allemande, avec gymnase, piscine et tout le confort. Quelle avance sur l'armée française ! Notre musique avait déjà quitté Berlin pour notre destination suivante et c'est celle du 24 RI qui nous a accompagné. Le rassemblement se faisait devant les ruines de l'ambassade de France sur la Pariser platz à la porte de Brandeburg. Pour la cérémonie, les troupes furent alignées face à la tribune officielle devant le monument aux morts russes. C'est un général russe qui fit le discourt de circonstance et, qui, avec les autres généraux alliés passât les troupes en revue. Ensuite nous avons défilé sur l'avenue entre la porte de Brandeburg et la tour élevée à la victoire allemande de 1870. Quelle revanche pour les français ! Chaque détachement avait sa musique, sauf les anglais qui furent accompagnés par les américains. Le détachement russe était formé par des élèves officiers.
Le lendemain, nous prenions le train pour Trèves. Les hommes dans des wagons de marchandises, les officiers et la garde du train dont j'étais le chef de poste dans de vieux wagons de voyageurs. A chaque arrêt, je déployais mes hommes le long du convoi. A une station en zone russe, un soldat qui attendait sur le quai m'a fait comprendre qu'il voulait monter avec nous. Après autorisation du capitaine, je l'ai pris avec le poste de garde. Il était bien tenu et avait l'air d'un brave type. Il m'a demandé une cigarette et il a voulu me la payée en sortant une liasse de billets roulée dans du papier journal. J'ai refusé son argent et dans le coup je lui ai donné le paquet entier. Il était ravi. Il nous a quitté à la station suivante.
A notre arrivée nous avons rejoint une caserne allemande :le quartier des Pyrénées, . Comme sergent j'avais une chambre avec un camarade. Nous nous sommes installés avec 2 lits une table et 2 chaises. Nous avons lustré le parquet avec un cul de bouteille et du cirage brun. Fini le bon temps, nous revenions à la vie de caserne d'avant guerre, les officiers anciens prisonniers reprenaient leur place dans les unités avec leurs vieilles habitudes. Régulièrement il fallait prendre la garde au QG du général commandant la place ou au poste de garde du quartier. Une anecdote au sujet de ces gardes : au QG, il fallait présenter les hommes au général tout les matins avant la montée des couleurs. Un soir, je suis averti que le lendemain, le général devant aller à la chasse, passerait plus tôt la revue de la garde. Il faisait encore nuit au lever et un de mes hommes n'était pas rasé. Evidemment le général s'en aperçoit et me fait signe d'approcher « pourquoi cet homme n'est pas rasé ? » me demande-t-il. Je ne me suis pas démonté et lui ai répondu « le local où se trouve les lavabos est mal éclairé, il va se raser sitôt après votre départ » .Je m'attendais à des jours d'arrêt, s'était la punition dans ce cas. Il faut croire que ma réplique l'a surpris, l'affaire en est restée là.
Début mai 46, un copain
viens me trouver pour m'annoncer qu'il est désigné
pour un stage de moniteur de natation, à l'école
militaire de sports de combat au fort carré d'Antibes,
ce qui ne l'emballe pas. Qu'à cela ne tienne, je lui propose
d'y aller à sa place, je pourrai ainsi aller à Grasse,
revoir le peu de personnes que j'y connais encore. Nous allons
proposer l'affaire au capitaine Doumenc, toujours lui, qui accepte
et me voilà parti pour Antibes. Personnellement, le stage
ne m'a pas apporté beaucoup, j'en faisais le moins possible,
j'étais là en touriste. J'ai quand même retenu
quelques principes de natation, et amélioré ma brasse.
Je n'ai pas eu le diplôme de moniteur, mais des attestations
: de 25 m sous l'eau, le kilomètre habillé et nageur
sauveteur, j'avais quand même quelque chose. Le stage durait
1 mois, nous avions permission de sortie du samedi matin au dimanche
soir. J'allais à Grasse où j'étais accueilli
chez les propriétaires de l'impasse Molinard mon dernier
domicile avant la mort de ma mère. Le stage terminé,
j'ai passé une semaine à Bécon. J'en ai profité
pour acheté des appareils et quelques outils afin de pouvoir
dépanner les postes radio des camarades ce qui me ferait
un peu d'argent de poche.
Au retour à la caserne, grand branle bas de combat, la
compagnie était en plein préparatifs pour participer
au défilé du 14 juillet à Baden-Baden. J'étais
rentré un jour trop tôt.
Les notables de la région organisaient des chasses auxquelles ils invitaient des officiers et des sous officiers. Ils tiraient du gros gibier, il était interdit de tuer les biches. Un jour, un adjudant en a tiré une par inadvertance. Le scandale ! le garde chasse en était malade. Il s'est excusé en disant qu'il n'avait pas bien vu la bête dans un fourré. Nous avons profité de son coup de fusil au mess où l'on nous a servi de la biche en civet.
Les officiers et sous officiers mariés pouvaient faire venir leur famille, ils étaient logés chez les habitants et ils avaient une coopérative pour se ravitailler. J'allais souvent manger chez l'un d'eux.
Dans le courant du mois de
novembre, l'administration militaire s'est aperçu que les
anciens du CFP encore présents au 49 RI n'étaient
pas en règle. Nous aurions dû être libérés
après le 8 mai 45. Il nous a été proposé
soit un engagement rétroactif de 6 mois pour nous libérer
fin décembre, ou un engagement de 3 ans pour la
France et pour l'Indochine. J'ai pris l'engagement pour 6 mois,
je ne me faisais pas à la vie de caserne. Mon vieux copain
Louis Dejean a pris les 3 ans et l'Indochine puis il a fait une
carrière militaire qu'il terminera Capitaine.
Avant l'expiration de mon rengagement, il m'est arrivé
un deuxième avatar lors d'une prise de garde au quartier.
Le poste avait des cellules pour les punis de toute la place de
Trèves et comme chef de poste j'en étaits responsable.
Un après midi, l'un des punis me demande la permission
d'aller à son unité pour prendre du linge propre.
Confiant je le laisse partir seul avec sa promesse de rentrer
avant l'appel du soir . J'aurais dû le faire accompagner
par une sentinelle. Le soir, rien ! Je m'en ouvre à l'adjudant
de service qui me promet d'attendre le lendemain matin.
Le lendemain, bien entendu, l'oiseau n'avait pas rejoint la cage.
Aïe ! ça a fait mal. Obligé de mettre le capitaine
au courant, celui-ci a marqué le coup, 8 jours d'arrêt
qui sont passés à 15 au niveau supérieur.
Ma permission libérable s'est trouvée réduite
d'autant.
Pour écourter le voyage j'ai pris un train de matériel
qui allait en France et après la frontière, un bon
train de voyageurs qui m'a amené gare de l'est.
Fini l'armée, vive la vie civile !