- Carnet de notes de P.A. Drouet -
- Le 1er Août 1914. La population est très calme, tout le monde a l'air résigné. Quelques femmes seulement ne peuvent s'empêcher de pleurer. A la maison, ma petite Mère Chérie, ma Fleurette est très courageuse, mon Père part le 3 ème jour et moi le 2 éme. La seule conversation roule sur la guerre, de l'avis de tous il n'y en aura pas pour longtemps. Malgré l'émotion du départ, mon Père et moi sommes heureux.
- Le 2 août
: 1 er jour de la mobilisation.
Le matin nous sommes réveillés par le bruit des
aéroplanes qui gagnent la frontière, cela nous donne
une forte espérance.
Mes paquets sont prêts, et demain matin je vais gagné
Montargis.
- Le 3 août : Le matin je suis prêt à partir, je fais mes adieux à mes parents qui sont très émus. La gare est mouvementée, je rencontre plusieurs de mes anciens camarades. Je prends place dans un wagon où nous sommes 40, tout le monde crie et chante et j'ai une forte migraine à l'arrivée à Montargis à 5 heures. A la caserne je vois des sous-officiers de ma Cie. qui sont de vieux camarades; on nous habille et nous équipe. Ma migraine est de plus en plus forte et je souffre de l'estomac et je n'ai le courage de ne rien faire.
- Le 4 août : Réveil à 3 heures, arrivée à Troyes vers les 2 heures, nous allons à la caserne où nous touchons nos armes puis nous rendons au cantonnement " le pavillon de Flore". Nous préparons le départ, distribution de vivres de réserve. Le soir tous les sous-officiers de réserve dînons à la Ruche Moderne où nous sablons le champagne.
- Le 5 août : Nous apprenons en ville que l'Allemagne nous déclare la guerre et que l'Angleterre déclare la guerre à l'Allemagne. Le soir nous dînons en ville et nous arrosons copieusement notre dernière soirée à Troyes. Il parait que l'on a fusillé déjà plus de 50 espions dont des femmes et 2 receveuses des postes.
Le départ a lieu, nous gagnons la gare en chantant, la foule nous acclame et nous couvre de fleurs. Le train part à 14 h 45. Après 50 kilomètres, demi-tour, le bruit court que des espions ont fait sauter des ponts, ce qui nous retarde. Nous repartons à la nuit.
- Le 7 août
: Arrivée à Lérouville.
(Carte du front). Nous faisons
le café sur place et attendons les ordres.Des habitants
du pays nous montrent des bottes de soldats prussiens prises sur
des morts. Déjà, nous en sommes surpris !
Nous partons direction le nord nous passons à Sampigny, devant la maison de Poincaré;
nous traversons St. Mihel où nous faisons la grande
halte. Nous repartons toujours vers le nord sous la pluie, pour
faire des tranchées pendant la nuit. Contre ordre, demi-tour
pour cantonner à la Savonnière-en-Woëvre
(Meuse).
- Le 8 août
: Le matin, la 1ère
demi-section reçoit l'ordre d'aller en petit poste. Je
prends le commandement de cette fraction et en avant. Il fait
beau.Au loin, on entend le canon pour la 1 ère fois.
J'établis mon petit poste sur la route mais le Capitaine
le fait changer de place et l'installe face à l'Angleterre.
On trouve la chose drôle et l'on s'en amuse. Le soir nous
retournons dans notre pauvre maison de la Savonnière.
- Le 9 août : Nous restons ici. C'est dimanche, et
l'État-Major décide d'aller à la messe. Le
vieux curé tire sur la corde de la clochette. La messe
et l'allocution du Curé sont émouvantes.
Nous partons à 2 heures par une terrible chaleur, plusieurs
hommes tombent d'insolation. Nous arrivons à Ambly
sur Meuse à 10 h 1/2 absolument exténués.
- Le 10 août : Réveil brusque et départ avant le lever du soleil. Après 4 kilomètres, halte dans un champ où la division est rassemblée pour la première fois. Nous cantonnons à Dienne sur Meuse. Je prends un bain dans la Meuse. Le caporal Poureillot de la 1 ère. Cie se noie et notre Général de Division meurt.
- Le 11 août : Nous restons à Diene et faisons le matin 1 heure d'exercice. La journée est attristée par l'enterrement du Caporal et du Général. Ils reposent tous les deux l'un près de l'autre, deux modestes croix de bois leurs servent de tombeaux.
- Le 12 août : Après l'heure d'exercice, nous passons à nouveau la journée à Diene.
- Le 13 août : Patatras ! à minuit, je suis
réveillé en sursaut. Le régiment part, on
se rassemble et en avant.Nous marchons toute la journée,
très chaude, avec des haltes fréquentes. Nous fatiguons
beaucoup.
Nous traversons Verdun et nous admirons avec extase tous
les travaux de défense effectués autour de la ville.
Nous nous disons que tous ces travaux sont inutiles puisque ce
sont les nôtres qui pénètrent en Allemagne.Nous
traversons beaucoup de villages évacués. Enfin nous
arrivons à Maucourt pour cantonner. Il y a parait-il
1500 uhlans cernés dans le bois qui entoure le village.
Nous barricadons les issues, et ma section prend la garde. La
nuit est belle, nous couchons pour la première fois à
la belle étoile.
- Le 14 août
: Quel sale pays ce Maucourt,
(Carte du front). plein de boue,
et les gens sont dégoûtants. Il est vrai que leurs
pruniers sont beaucoup plus sympathiques !
Toute la journée il pleut, nous prenons la garde des issues,
mais en commençant de douter des 1500 allemands. Nous fabriquons
des abris couverts, où l'État Major s'abrite.
Le Capitaine nous apprend l'intervention des japonais.
- Le 15 août
: Quel triste jour de fête
! Nous passons la journée à des revus de vivres.
Mes souvenirs se reportent à un an en arrière, où
toute la famille était réunie à La Ferté.
Retournerais-je jamais à La Ferté ?
- Le 16 août : Nous allons donc rester à Maucourt. Nous commençons tous à en avoir assez de patauger dans la même boue. Le Capitaine devient désagréable l'on entend que lui. Pourquoi ce Maucourt, nous étions si bien à Diene ?
- Le 17 août : Enfin nous quittons ce pays et partons
à 6 h 30, il pleut toujours.
Pour la première fois nous prenons une formation de combat,
lignes de sections par quatre à travers champs. Les avoines
ne sont pas coupées et nous sommes mouillés jusqu'aux
genoux. Je suis commandant de patrouille, je pars avec 6 hommes
fouiller un bois et une ferme, RAS. Je perds le contact avec le
82 que je retrouve 2 heures après. Nous allons cantonner
à Ormes, pendant que nous nous installons l'ordre arrive
à la 1ère section d'aller prendre les avant-postes
sur la hauteur. Les allemands sont signalés. Cette fois
c'est fini de rire !
Une fois là haut, j'installe donc mes sentinelles et mes
petits postes. Toute la nuit je fais de nombreuses rondes et patrouilles.
Nous avions entendu de vives fusillades qui nous semblaient peu
éloignées.
À une heure 1/2 je m'étends et Poilevé
veille. RAS.
Cette journée marque mes premières impressions de
guerre.
- Le 18 août : Au lever du jour, une section du 313 ème vient nous relever. nous passons les consignes et en route pour Gremilly où cantonne le 82., Nous pouvons nous reposer et manger un peu. (Carte du front).
- Le 19 août : Nous restons à Gremilly. Le beau temps est revenu et nous sommes plus gais. Fildier que j'ai rencontré et qui est sergent boucher, avec le système D, m'apporte des petites choses agréables.
- Le 20 août : Le séjour à Gremilly semble vouloir se prolonger.
- Le 21 août
: Nous quittons Gremilly
à 5 heures, nous faisons une étape assez
dure. Nous passons par Mangiennes, où l'on
s'est battu peu de jours avant. Des traces du combat se relèvent
un peu partout.Ce sont des tranchées allemandes cimentées,
des tombes, où déjà, quelques uns reposent,
tombes bien modestes surmontées d'une petite croix faite
avec deux brindilles, puis ornées du képi ou du
casque de celui qui est là pour toujours !
Des douilles d'obus sillonnent les champs. A Mangiennes
quelques maisons sont touchées et beaucoup de carreaux
cassés. Nous traversons Longuyon où de chaleureuses
ovations nous accueillent. Les habitants ont déjà
vu les boches, ils sont plus en avance que nous, c'est donc avec
joie qu'ils nous reçoivent.
Mais c'est une marche forcée que nous faisons et nous sommes
pressés. La route est longue, le soleil est chaud, tout
le monde traîne la jambe, mais personne ne cale, ne marchons-nous
pas en avant ? Nous traversons Fresnoy-la-montagne où
le régiment doit cantonner. Ma section prend les avant-postes
sur le haut d'une colline, où deux heures avant les allemands
étaient installés. Les sentinelles posées,
nous nous affalons dans une meule de paille. N'ayant rien à
manger, nous essayons de dormir, nous n'en avons pas le temps,
car un orage éclate et une pluie diluvienne nous arrose.
Le bruit du canon se mêle à celui du tonnerre. Nous
voyons à l'horizon Longwy en flammes depuis 3 semaines,
cette vieille citadelle résiste, les forteresses qui datent
de Vauban se défendent héroïquement. Le spectacle
de la ville en feu, le bruit du canon et les lueurs produites
par l'éclatement des obus est féerique.
Au milieu de la nuit nous recevons l'ordre de rentrer à
Fresnoy, la 10ème Cie. venant nous relever.
- Le 22 août : A 4 heures nous sommes prêts
à partir, le canon tonne,jamais nous ne l'avons entendu
de si près.
Nous nous plaçons en ligne en sections par quatre, derrière
un bois sur le fait d'une colline.
Nous attendons les événements couchés par
terre, de l'autre côté du bois la bataille à
l'air de faire rage.
Nous sommes actuellement en Belgique, au sud de Virton. Les armées
françaises ont reçu l'ordre de prendre l'offensive.
Une grande partie des régiments du corps d'armée
sont déjà engagés, notre tour va venir, mais
nous sommes très calmes, à 9 heures 1/2 nous recevons
l'ordre d'attaquer St. Rémy.
Nous traversons le bois, où
des blessés du 113 ème, du 4 ème et du 30
ème d'artillerie nous affirment que pas un de nous ne reviendra.
Nous n'avons plus un seul officier dit l'un, tous nos canons sont
démolis, gémit l'autre.
A peine la lisière du bois franchie, les obus allemands
tombent à nos côtés. Instinctivement les hommes
se couchent. En se qui me concerne, je crois avoir affaire à
l'artillerie française et de ce fait je me mets à
attraper les poilus pour les faire avancer, voire même à
les frapper à coups de crosse. Pour arriver à St.Rémy
il faut descendre la colline, il y a environ 1200 mètres
à parcourir sous un feu intensif de l'artillerie ennemie.
Nous les parcourons au pas de course, avec une belle vitesse que
nous ne subissons que de très légères pertes.
St.Rémy est barricadé. Nous franchissons
ces barricades, et entrons dans le village baïonnettes au
canon. Les allemands n'y sont plus. Nous nous portons aussitôt
à la lisière de l'autre coté du versant,
faisons à la hâte une petite tranchée, et
attendons.
Le calme se rétablit et nous en profitons pour aller voir
dans les maisons s'il n'y a rien à manger . Quelques oeufs
font notre bonheur.
Tout à coup les allemands bombardent le village, nous entendons
les balles nous siffler aux oreilles et pourtant nous ne voyons
devant nous aucun casque à pointe. Le Capitaine Devaux
est caché dans une cave, par un soupirail, il supplie
le Commandant Duval, qui reste très crâne,
de nous faire battre en retraite. Le feu devenant intensif
le Commandant s'y décide à regret. Le Capitaine
Devaux est le premier parti.
- A 3 heures 1/4,
nous nous replions. Mais cette fois, il faut remonter la pente
que nous avions descendue si vite deux heures avant. Elle est
toujours balayée par un feu intensif de l'artillerie et
les balles nous frôlent continuellement.
C'est la déroute, toutes les unités se disloquent,
chacun remonte le plus vite possible la colline. J'ai la gorge
absolument sèche, je n'ai plus de force, je m'arrête
plusieurs fois en route, me baissant à chaque obus qui
venait dans ma direction. J'arrive enfin en haut, je me repose
10 minutes dans le bois, que je traverse ensuite, et me voilà
à l'emplacement où nous étions le matin en
attendant le combat.
Quelques blessés sont là, nous faisons leurs pansements,
et nous les aidons à marcher.Nous ne sommes plus pressés,
maintenant que la zone dangereuse est franchie. Je rassemble ensuite
tous les poilus de ma Cie. que je trouve, je les fais mettre par
4 , et je me mets à la recherche du 82, me disant bien
que si je ne le retrouvais pas je me dirigerais à Longuyon
. Il est inutile d'aller si loin, car sur la route je rencontre
un groupe de mon régiment que le Lieutenant Devousge
avait rassemblé. Nous nous joignons à lui.
Bientôt d'autres arrivent, parmi lesquels les adjudants
Bellot et Fest de ma Cie. Nous nous mettons en marche
et la nuit venue, nous nous couchons dans un champ. Que sont devenus
nos 2 officiers et une grande partie des hommes de la Cie. ? Nous
ne sommes pourtant pas inquiets pour le Capitaine Devaux, il doit
être loin, pas devant, mais derrière nous...
Je me présente au Colonel Poncignon qui me serre affectueusement la main. Quelle journée que ce 22 août! Nous nous en souviendrons ! Et nous croyons fermement que nous ne pouvons voir plus dur.
- Le 23 août : Dimanche -
Nous retrouvons nos officiers et la plus part de nos hommes .Nous
partons de grand matin.
Nous marchons dans la direction du sud et nous faisons une halte
sur le haut d'une colline. Ayant trouvé du miel, du vin,
et pris un lièvre à la main, nous comptons faire
un bon repas, mais les allemands sont annoncés et nous
n'en avons pas le temps. En effet, il faut déguerpir et
prendre des positions, près du village de Flabville.
Nous y établissons des tranchées confortables, nous
repérons au télémètre les distances
des débouchés par où peuvent arriver les
boches. Gradés comme poilus, sommes contents de notre situation.
Nous avons pris la pilule hier, nous allons nous venger aujourd'hui.
Une batterie de 75, placée à 200 mètres derrière
nous commence sa musique infernale pour ne plus s'arrêter
avant la nuit. Les canons allemands répondent , cherchant
à découvrir cette batterie et arrosent nos positions
sans nous faire de mal.
Le 3e bataillon qui était encore devant nous se replie,
se reforme derrière la crête, et fait une contre
attaque et de nouveau se replie. Par une fatalité regrettable,
les canons français les prennent pour des boches et tirent
sur eux, plusieurs hommes sont blessés (12), 2 sont
tués, et le Commandant Eveillard est blessé
au pied. nous faisons avertir les artilleurs qu'ils cessent leur
feu.
La nuit arrive, l'on redoute une attaque de nuit, nous quittons
donc nos tranchées, et baïonnette au canon nous descendons
à la rivière. Nous entrons dans une étable,
où le fusil entre les jambes, et le sac comme oreiller,
nous dormons ; nous serons debout à la moindre alerte.
- Le 24 août
: L'alerte n'a pas eu lieu.
A 3 h 1/2, nous reprenons nos positions dans les
tranchées et l'ordre est donné de ne plus en bouger.
Malgré cet ordre, quelques hommes ne pouvant rester plusieurs
heures sans remuer un membre, se lèvent et se font voir;
cela nous vaut quelques obus.
Notre artillerie et l'artillerie ennemie travaillent du reste
depuis le matin avec assez d'intensité.
Toute la matinée se passe sans qu'aucun fait saillant jaillisse.Vers 14 heures, nous recevons l'ordre de nous replier;
c'est le coeur fendu que nous quittons nos positions, que nous
trouvions si belles. Mais puisque c'est l'ordre nous n'avons rien
à dire et nous partons.
Nous nous défilons par derrière la colline, puis
nous marchons ensuite, en ligne de demi-section par deux.
Nous marchons assez longtemps et nous sommes fatigués.
Nous faisons enfin la halte dans un champ. Je suis de jour et
je pars à la corvée d'eau, je fais 3 kilomètres
avant de pouvoir en trouver. Je reviens à l'emplacement
où était le régiment, juste au moment où
celui-ci s'en allait.
Nous gagnons le plateau qui domine Marville, (Carte
du front).et là, nous améliorons des tranchées
qui se trouvent à 50 mètres de la lisière
d'un grand bois. Un champ d'avoine nous empêche de voir,
tout le régiment le piétine.
Nous prenons nos emplacements pour le combat. La nuit arrive du
reste et nous ne pensons plus qu'à dormir. Nous allons
dans les champs chercher de la paille et l'État Major s'établit
un large lit, où nous nous couchons tous; la nuit est très
belle, et jamais nous n'avions vu autant d'étoiles.
- Le 25 août
: Avant le jour, nous sommes
déjà à nos places de combat. Des taubes survolent
nos positions et un duel intensif d'artillerie commence.
Les grosses pièces allemandes arrosent copieusement nos
batteries et nos parcs à munitions, c'est à dire
notre gauche et notre droite. Le désordre doit avoir lieu,
car bientôt les chevaux du parc à munitions emballés
courent dans tous les sens; Beaucoup sont blessés. Nous
essayons d'en arrêter, mais la tâche est difficile.
Dans nos tranchées nous attendons toujours; nos képis
sont surmontés de paille, et nous avons l'air de vrais
sauvages.
Un mouvement offensif se dessine à notre droite, nous allons
l'appuyer. Je cours dire au Capitaine Devaux, à
800 mètres derrière nous dans le bois, avec la section
de réserve de la compagnie, de venir nous renforcer.
Lorsque cette section arrive, l'ordre est changé, le mouvement
offensif de notre droite se transforme en retraite. Devaux
fuit en m'engueulant pour lui avoir procuré une émotion.
Notre artillerie a eu le dessous et est absolument muette. Les
canons allemands font rage et bientôt le régiment
qui était devant nous se replie, poursuivit par les boches.
Nos tranchées subissent un feu violent, auquel nous ne
pouvons résister, et le Capitaine Le Camus, qui commande
sa Compagnie et la nôtre, puisque notre Capitaine a disparu,
donne l'ordre de se replier. Pasdeloup et moi,
nous restons les derniers, puis nous partons à notre tour.
Ce fut moins pénible que le 22 août parce que le
bois n'était qu'à 50 mètres de nos tranchées,
et qu'une fois dans ce bois, l'ennemi ne pouvait plus nous voir.
La déroute recommence, les unités se disloquent
de nouveau, pour se reformer à 10 kilomètres de
là.
Je rassemble tous les hommes que je rencontre et je rejoins mon
régiment. Il fait chaud, nous avons la gorge sèche
et c'est avec volupté que nous remplissons nos quarts dans
un sale ruisseau.
Nous marchons dans la direction de l'ouest et je commence à
douter de la valeur de l'armée française, nous n'avons
pas subi de grandes pertes et notre marche ressemble à
une déroute.
Le soir nous nous arrêtons à la lisière d'un
bois, nous prenons les avant-postes. Nous touchons des vivres,
viande et légumes, que nous ne pouvons faire cuire, car
nous ne pouvons pas faire de feu et nous nous endormons, après
avoir placé des petits postes à la Bugeaud à
200 mètres avant nous. Nous foulons un champ de fèves
pour nous faire un champ de tir.
- Le 26 août
: A minuit 1/2 une vive fusillade
nous réveille. Tout le monde est debout, nous prenons nos
positions, mais le Capitaine a perdu son cheval qu'il cherche
désespérément, probablement pour fuir plus
vite.
Pendant plus d'un quart d'heure il nous laisse exposés
criant après son cheval et son ordonnance, l'un et l'autre
sont introuvables. La fusillade continue plus intense, sans l'ordre
du Capitaine, qui cherche toujours son cheval, nous prenons nos
formations. Les clairons sonnent le refrain du régiment,
nous marchons à la baïonnette contre des meules de
paille, et ne voyant rien, nous nous couchons dans un champ en
tirailleurs. La nuit est obscure, le brouillard épais,
et la fusillade continue, des balles égarées tombent
près de nous. Le Lieutenant Lecomte voit, dans un arbre,
dans un buisson des colonnes allemandes, malgré les protestations
de Coussy et les miennes, il les voit remuer. Pour le rassurer
nous partons tous les deux en patrouille.
Avant le lever du soleil nous recevons l'ordre de nous en aller;
nous faisons une forte marche et après les fatigues de
la fausse alerte, nous traînons la jambe. Les allemands
nous talonnent, et comme nous sommes arrière-garde du corps
d'armée, notre 3 ème,bataillon, est obligé
à chaque instant, de faire demi-tour pour combattre des
uhlans trop hardis.
Nous traversons des villages, tous les habitants les évacuent,
et c'est un des spectacles des plus émouvant, que de voir
des vieillards, des femmes et des enfants quitter leurs maisons
en emportant leurs plus beaux vêtements, des objets de literie
et leur vache. Ils nous regardent tous passer avec anxiété
et tristesse.
Mais nous marchons toujours, il faut franchir la Meuse le plus
vite possible, c'est vers
3 heures que nous la passons
à Dun sur Meuse, le pont est miné et les sapeurs
du génie sont impatients. Notre 3 ème bataillon
arrive enfin, et à peine a-il traversé la rivière
que le pont saute. Il était temps, les allemands étaient
à 1500 mètres derrière lui. Les traînards
et les habitants n'ayant pas eu le temps de partir sont désormais
prisonniers.
Le pont sauté, nous nous sentons en sûreté,
et le sourire revient sur nos visages.
Nous faisons la grande halte et nous allons cantonner à
Montillois. L'État Major s'occupe du repas du soir et nous
dînons ensemble chez une femme du pays, ayant 5 enfants
en bas âge. L'intérieur est sale et pauvre, aussi
donnons nous une pièce blanche à chacun des enfants.
Nous montons nous coucher dans le grenier.
Le bruit court avec insistance que nous allons occuper un fort
de Verdun.
- Le 27 août
: Nous quittons Nantillois
à 9 h 1/2 et nous gagnons Cléry le Grand où
nous devons cantonner.
(Carte du front).
Un détachement de Montargis arrive, commandé par
le Lieutenant Lacanalle. Il est fort de 80 hommes et nous formons
avec lui une 5 ème section. Le Capitaine Devaux leur fait
un petit speech; il était tout désigné pour
cela.
Dans une lettre à sa Mère de ce jour il raconte
: Il est fort probable que tu ne reçois pas mes lettres
puisque les villages où elles sont mises à la poste
deviennent tour à tour allemands.
- Le 22, nous
étions tranquillement dans un champ, on entendait de l'autre
côté d'un bois la bataille qui se déroulait.
Deux régiments, le 113 et le 131, se battaient, ils avaient
pour mission de prendre un village belge nommé St. Rémy,
ils ne purent y parvenir.
Le Général Brochin a alors envoyé
le 1 er Bataillon du 82 pour remplacer les 2 régiments
qui commençaient à battre en retraite (deux généraux
ont été mis à pied pour incapacité
et passent devant une commission d'enquête).
J'ai reçu un éclat d'obus dans la cuisse qui ne
m'a fait aucun mal....
Le baptême du feu fut moins agréable que celui de
Denise, les dragées plus indigestes.
- Le 28 août : Nous quittons Cléry pour aller prendre position dans le bois
de Cunel.
Je suis envoyé avec ma section sur une crête, avec
ordre de tenir. Il fait chaud et nous sommes en plein soleil.
Le canon tonne de part et d'autre, le bois est absolument mitraillé.
Le Capitaine a fuit. C'est un duel d'artillerie formidable, et
nos batteries tiennent en respect les allemands qui n'osent pas
franchir la Meuse.
Sur ma crête, je suis relativement tranquille et la journée
se passe sans qu'un obus ne tombe directement sur nous; il est
vrai que ma section cachée dans un champ d'avoine est invisible
pour l'ennemi.
Le soir la compagnie va coucher à Cunel,
sans que je ne sache rien et toute la nuit je reste sur ma crête.
- Le 29 août
: Le matin le duel d'artillerie
recommence plus intense que la veille, et pour durer toute la
journée.
Quelques obus tombent tout près de nous, les allemands
ont dû nous deviner.
Nous repassons toute la journée sur la crête et nous
commençons à la trouver mauvaise, car depuis l'avant
veille nous n'avons pas mangé. Notre Capitaine étant
en fuite nous risquons fort d'être oubliés. La nuit
venue, le Capitaine Le Camus passe près de là,
et lui ayant expliqué mon cas, il m'envoie rejoindre le
bataillon qui cantonne à Cunel. Nous y arrivons
tard, mais nous trouvons quand même de quoi manger, pas
beaucoup, mais enfin !!
Je vais trouver le Capitaine pour lui dire qu'il nous avait laissés
près de 40 heures, sans ordre et sans vivres. Naturellement
il m'envoie promener.
Nous couchons dans une grange tellement pleine que nous ne pouvons
pas nous allonger.
- Le 30 août : Dimanche. A 2 heures, nous quittons Cunel pour aller reprendre nos positions dans
le fameux bois.
Cette fois une autre section s'installe sur la crête avec
la mienne. Les obus sillonnent l'air de part et d'autre, quelques
que uns nous sont destinés, mais il n'y a pas de blessés.
Le Capitaine a eu le courage de monter jusqu'à nous mais
à peine arrivé un obus éclate, et le voilà
qui se sauve à toutes jambes, sans nous dire ce qu'il voulait.
La rage m'empoigne, il passe près de moi et j'ai l'intention
de lui flanquer une balle dans la peau. J'hésite et ne
le fais pas !
Deux sections de la compagnie le suivent, les deux autres, celles
de la crête restent, avec le restant du bataillon.
Toute la journée le bois est mitraillé et le soir
venu, ne voulant pas rester oublié, je descends coucher
dans le bois, en ayant soin d'en avertir le chef de bataillon.
Comme nous n'avions pas d'officiers, celui-ci me donne l'ordre
d'aller prendre les avant-postes; et nous voici à nouveau
sur la crête. Nous y passons la nuit.