- Paul-André Drouet -

Acte 1 suite

 

- Le 1 er septembre 1914 : Bien avant le jour , je vais prendre un petit poste, sur le bord de la Meuse.
Juste en face, de l'autre côté de la rivière, il y a des Allemands, ils ne nous ont pas vus, aussi nous nous tenons bien cois.
Des sapeurs du génie allemands viennent pour construire une passerelle, ne voyant rien ils se mettent au travail en sifflant. Nous nous apprêtons à les abattre par un feu de salve, lorsque un idiot de ma section fait du bruit et se fait voir. Aussitôt les pigeons s'envolent, nous tirons dessus, mais nous n'en voyons pas tomber.
Le grand jour arrive; bientôt en face nous un bataillon allemand s'engage, en colonne par quatre sur la route et descend la colline, j'allais en rendre compte, lorsqu'une batterie française les ayant aperçus, se met à tirer. Elle commence à balayer la crête et arrose avec des obus percutants la colonne. Au bout de 20 minutes il ne reste plus rien de celle-ci. C'est une joie pour moi de voir à la jumelle l'anéantissement de ce bataillon. Les arbres de la route et les corps des hommes sautent en l'air; quelques uns veulent fuir à travers champ, mais les obus français les couchent par terre comme les autres.
Pendant ce temps que se passe-t-il à Cléry le Petit ? (Carte du front).

A Cléry le Petit, le chef de bataillon apprend que les allemands, en force plus grande ont traversé la Meuse à Doulcon, et que les deux autres bataillons du 82 sont obligés de se replier. Il faut se coordonner à leur mouvement, et nous retirer aussi; le 1 er bataillon se repliera par échelons, la 3 ème compagnie quittera Cléry la dernière.
Le mouvement commence, le Capitaine Devaux, prie le Sous-Lieutenant Lecomte d'emmener la Cie. et il fuit le premier. Vers 9 h 1/2, voyant les allemands franchir la Meuse, plus au nord, j'envoie un homme prévenir le Chef de bataillon; cet homme revient un 1/4 d'heure après me disant qu'il n'y a plus un français ni à Cléry, ni à Doulcon, et qu'ils se sont repliés.
Me doutant que j'avais encore été oublié, je prends sur mon initiative de partir aussi. Je prends comme direction , le bois de Cunel. Et ce fut encore extrêmement pénible, nous subissions un feu intense et d'artillerie et d'infanterie. Je fais marcher ma section, en colonne par un, par paquets de 5.
Une dizaine d'hommes sont blessés, leurs camarades ne veulent pas les laisser et les emmènent. C'est un miracle si nous avons pu regagner le bois de Cunel sans plus d'accidents, car il y avait 2 kilomètres 1/2 à franchir sous les balles et une crête (que je connaissais bien) à passer sous une pluie d'obus.
Le bois était mitraillé et il a fallu le traverser le plus vite possible. Nous y trouvons pas mal de blessés et nous faisons notre possible pour les emmener avec nous.
C'est à Cunel que j'ai retrouvé mon régiment qui se reformait. A part les blessés, il y a pas mal de disparus. Que sont-ils devenus ?
Le Capitaine Devaux, le plus haut en grade, veut nous emmener loin, bien loin en arrière, mais les gendarmes veillent et l'en empêchent.
Nous nous reformons donc, nous nous plaçons en lignes de section par quatre et nous nous affalons par terre, sans aucune énergie.
C'est ainsi que nous surprend le Général Marquet, notre Général de brigade, et après une allocution vibrante, dans laquelle il nous parle de Mayence, Sébastopol et de la Moskova, il donne l'ordre au Capitaine Devaux d'aller en soutien d'artillerie. Celui-ci n'y tient pas, et devant tous ses hommes il se fait engueuler par le Général.
Il nous emmène enfin, dans un bois, pas bien loin et nous fait arrêter dans un endroit bien frais, où nous nous étendons par terre avec délices.
Les allemands arrosent la lisière de ce bois avec leurs grosses pièces, les obus éclatent tout près de nous, et nous sommes tous persuadés que dans un moment nous allons sauter en l'air comme sautaient si bien ce matin les boches. Il fait partout bien bon dans ce bois, pourquoi le Capitaine Devaux n'est-il plus avec nous ? Et couché sur la mousse, je songe, et je revois toute mon existence ! Je revois ma mère qui doit être inquiète à mon sujet. Je revois mon père, qui se bat peut-être. Je revois mes soeurs, mes frères, ma petite nièce qui ne connaîtra probablement jamais son oncle. Je revois enfin tous ceux qui me sont chers.
Le canon tonne toujours, les gros obus nous harcellent sans cesse; nos pièces de 120 long sont muettes actuellement et les allemands seuls mènent le bal ! Que faisons nous dans ce bois privés d'officiers ?
La nuit arrive et nous nous en allons. Le régiment est rassemblé dans un champ à 2 kilomètres de là, nous allons le retrouver. Nous rencontrons des troupes du 6 ème corps qui viennent nous relever, nous leur souhaitons bonne chance.
L'adjudant Bellot a perdu son sabre dans le bois de Cunel où les allemands sont maintenant, il ne veut pas leur donner, et seul, sachant où il l'a perdu, il part le rechercher. Deux heures après, il revient heureux, car il a son sabre. Voilà un homme qui a de l'estomac.
Il fait nuit noire, et nous partons, nous marchons plusieurs heures, le Capitaine Devaux, voulant nous abréger le chemin, se trompe et se perd. Enfin à 1 heure nous arrivons à Nantillois, où nous allons coucher. Toutes les granges sont pleines et nous nous installons comme nous pouvons.

- Le 2 septembre : Le capitaine nous réveille à 4 heures en criant alerte. Nous nous levons précipitamment et nous partons. Nous marchons franchement vers le sud, nous marchons longtemps, cependant nous prenons le temps de faire le café dans un champ. Il fait chaud et la marche est pénible, nous traversons : Montfaucon, Cheppy, puis Varennes. Nous continuons toujours à marcher, et les obus allemands nous suivent. Enfin à l'entrée de la forêt de l'Argonne, nous nous arrêtons dans un champ. (Carte du front).
Nous avions vu en passant à Varennes que le gouvernement avait quitté Paris, et cette nouvelle nous avait complètement abattus. A tel point que j'écrivais à ma Mère.
"Après 12 jours de combats terribles et pénibles j'ai encore mes quatre pattes et ma tête, et je n'ai aucune égratignure, je suis en bonne santé."
Les nouvelles qui nous parviennent sont désolantes. Pauvre France, aurais-je cru ? Nous mêmes nous reculons le moral atteint et déprimé ! Mais je rencontre Fildier qui me donne un morceau de pain et de viande et un quart de vin, et je redeviens gai..
Nous recevons l'ordre de faire des tranchées 50 mètres en avant de la forêt et c'est en creusant que la nuit nous surprend.
Le Lieutenant Lecomte est triste, il a le pressentiment que c'est là qu'il va mourir. Je veux le remonter mais il persiste dans son idée et me donne l'adresse de son Père et de sa femme pour que je leur écrive, si je survis. Je fais de même et nous dînons avec le reste de l'État Major de peu de choses. Nous passons une nuit sans paille, extrêmement froide, et un brouillard épais nous transperce.

NDLR : (Ce jour, mon père Louis Salmon sera blessé au NO de Charpentry également dans le canton de Varennes.)

- Le 3 septembre : Nous nous réveillons de bonne heure, ayant à peine dormi.
Au lever du jour, nous recevons l'ordre de partir une fois de plus. Nous n'occuperons pas les tranchées que nous avons creusées.
Nous allons de la sorte au Four de Paris, petit village de 6 maisons et d'un château, qui jouera un grand rôle dans la guerre actuelle. Au château quelques domestiques qui sont restés, nous donnent du café, du lait et du pain.
Je vais ensuite prendre un petit poste avec 8 hommes au croisement de 2 chemins en pleine forêt.


Il écrit ce jour à sa Mère: Nous sommes actuellement dans la forêt de l'Argonne, c'est te dire que nous reculons, il est vrai que nous avons été remplacés par le 6 ème corps. Nous sommes en général très fatigués, quant à moi je vais très bien et supporte assez bien les privations.
En effet quoique le ravitaillement se fasse d'une façon satisfaisante, il nous arrive de ne manger, mais pas du tout, et cela 1 jour et 1 jour 1/2. Quand on a le ventre vide, on a le cafard...
Nous avons passé plusieurs jours consécutifs bien pénibles, non seulement en raison de la fatigue et du manque de nourriture et de sommeil, mais aussi par l'abondance d'obus. C'est une chose effrayante et à laquelle nous ne pouvons pas résister. En effet les allemands possèdent des canons plus puissants que les nôtres. Au début du combat, un aéroplane vient de chez eux repérer les emplacements exacts de nos batteries, puis 1/2 heure après le bal commence. Nos artilleurs reçoivent des coups, tachent de riposter souvent en vain car leurs pièces n'ont pas assez de portée, ils sont donc obligés de partir. Ceci fait les allemands, qui par leurs aéroplanes savent également où nous nous trouvons commencent à nous bombarder. Que faire ? recevoir où partir. Nous partons, non par peur , nous sommes courageux, mais par ordre. Pendant 12 jours de combat, ma section n'a pas eu l'occasion de tirer un coup de fusil, c'est te dire.....par contre elle en a reçus pas mal. Nous avons quelques blessés, 50 environ en comptant les disparus, et 1 mort dans la compagnie, qui peut se considérer comme privilégiée. Il est vrai que notre Capitaine est un froussard comme pas un et est toujours le premier à fiche le camp suivi par ses hommes dont il ne s'occupe plus. Nous manquons en un mot de chef et de liaison entre les diverses unités, sans cela nous serions certainement plus combatifs.
Il ne faut pas croire pour cela que les ennemis ne reçoivent rien, nos canons de 75 quand ils peuvent se placer font du bon travail, j'ai vu dernièrement une colonne ennemie surprise par un groupe d'artillerie de chez nous sauter en morceaux, c'était très drôle. Notre artillerie est je crois plus efficace, mais l'artillerie lourde manque et c'est la cause de notre défaite (si défaite il y a car nous sommes sans nouvelles générales).
Les obus allemands font plus de bruit que de mal, et vu la quantité de mitraille qu'ils nous envoient sur la tête, les dégâts sont insignifiants. J'ai vu des obus éclater à côté de moi et par dessus moi sans avoir aucun mal. L'infanterie est plus terrible, quand les balles vous sifflent aux oreilles cela n'est pas drôle, mais on si habitue, et les blessures sont plus dangereuses...

Je reçois tout d'un coup l'ordre de rejoindre la Cie. qui part. Nous sommes flanc-garde et un peu au sud du Four de Paris. Nous nous établissons en flanc-garde fixe.
La 1 ère section est déployée en tirailleurs, perpendiculairement à la route. Le Lieutenant Lecomte est malade et il nous quitte. Nous restons dans la même position jusqu'au soir et alors l'ordre arrive d'aller cantonner à la Challade.
Je suis désigné avec Coussy pour prendre la garde des issues. Nous barricadons donc la route et comme des chasseurs à cheval doivent rentrer, on laisse une partie dégagée pour les laisser passer. Coussy et moi, nous nous endormons dans le foin, couchés dans le fossé de la route, avant l'arrivée des chasseurs. Les sentinelles sont désignées et elles doivent comme d'habitude se relever d'elles mêmes.

- Le 4 septembre : A 3 heures le bataillon est prêt à partir, on vient nous avertir à la dernière minute, nous dormions encore.
Nous nous apercevons alors qu'après le passage des chasseurs, nous avions oublié de fermer les barricades. Les sentinelles ne nous avaient rien dit, heureusement qu'il n'y a pas eu d'alerte.
Nous rejoignons notre Cie. et nous faisons une marche forcée extrêmement fatigante. Il fait chaud et beaucoup de traînards restent en route.
A 8 heures nous faisons une grande halte où l'État-Major se rassemble pour manger. Nous sommes près d'un ruisseau et nous en profitons pour nous laver. A Hautrecourt, le village d'à côté, Coussy découvre un pot de confiture et une bouteille de vin. Nous voilà heureux.
Nous repartons le soir, nous marchons encore 9 kilomètres, et nous bivouaquons dans un champ. La nuit est froide et un épais brouillard est tombé.

- Le 5 septembre : Nous partons à 4 heures, dans la direction du sud. Le bruit court que nous allons à Bar le Duc nous embarquer pour le camp retranché de Paris. Cependant à 15 kilomètres de Bar le Duc, nous nous arrêtons et nous prenons nos positions.
Le canon tonne et la fusillade crépite à notre gauche; les allemands sont sur nous et il faut leur faire face.
Nous creusons des tranchées et nous nous y installons. A ce moment un curé vient nous faire des offres de service pour un capitaine qui ne sait quoi faire de ses mitrailleuses. On l'envoie au Commandant qui le trouvant louche le fait fouiller, c'était un officier allemand recouvert d'une soutane. Il a été passé le jour même par les armes.
La 4 ème compagnie qui est à notre gauche est obligée de se replier devant l'abondance d'obus que lui envoie les allemands. Mais il parait que l'heure n'est plus de reculer et qu'il faut tenir et aller reprendre sa place.
La nuit arrive, nous restons dans nos tranchées en avant-poste de combat, nous détachons cependant un petit poste d'écoute à 200 mètres devant nous. Nous nous endormons.

- Le 6 septembre dimanche : Au petit jour, nous sommes déjà à notre poste de combat, dans nos tranchées.
Le
Colonel Poncignon vient nous voir, il est reçu par quelques balles allemandes. Il s'adresse au Capitaine Devaux et devant toute sa Cie. lui adresse des reproches pour sa conduite.
Le combat commence par un duel formidable d'artillerie, les obus passent sur nos têtes sans arrêt, les unités qui sont à notre gauche et à notre droite souffrent plus que nous, c'est une véritable pluie d'obus. Vers les 10 heures elles sont obligées de se replier devant l'intensité du feu ennemi, du reste l'ordre est donné à tout le bataillon de quitter son secteur.
Le Capitaine Devaux avait envie de partir depuis longtemps, mais après les reproches du matin il n'ose.
L'ordre de se replier n'arrive pas à la 3 ème Cie. si bien que les artilleurs français prévenus qu'il n'y avait plus de troupes françaises dans notre secteur, nous prennent pour des boches et nous canardent.
Nous ne connaissions pas encore les effets du 75, et nous nous demandions quelle invention les allemands avaient encore trouvée. Beaucoup de blessés, principalement dans la 4 ème section. Furent atteint, le Lieutenant Lacanal, Pasdeloup et quelques sergents entre autres.
Devaux alors s'en va, nous le suivons tous. Mais le feu de l'infanterie allemande nous accompagne et les obus allemands nous poursuivent. Quelques membres de l'État-Major sont atteints : Lambert, Philippe.
Nous allons de la sorte à Evres où la Cie se rassemble, Devaux, notre brave Capitaine ne pense qu'à une chose, ne sachant où est le régiment, c'est de se diriger du côté opposé à l'ennemi. Naturellement toute sa Cie le suit.
A 2 kilomètres de Evres, nous croisons le 156 ème qui part faire une contre attaque. Le Colonel de ce régiment interpelle notre Capitaine et le somme de marcher en avant avec lui.
Nous nous mettons donc à la gauche du 156 et nous participons à la contre-attaque. Nous gagnons une crête arrosée par les balles. Plusieurs des nôtres sont touchés, quelques-uns mortellement.
Quelques éléments du 82 étaient à notre droite et commençaient à reculer, lorsque le Colonel Poncignon arrive et se place les bras croisés à l'endroit le plus dangereux. Ce geste redonne confiance aux hommes qui regagnent la crête.
Quant à nous, nous recevions des balles et nous répondions au hasard, ne voyant pas l'ennemi. Les obus allemands commencèrent aussi à nous faire danser. Bonnichon est blessé au pied à côté de moi.
Le Capitaine Devaux, terré en arrière, s'en va en criant "sauve qui peut"! Les troupes qui se trouvaient à notre droite, se repliaient et nous faisions comme elles, nous nous en allons suivis par les obus percutants et fusants. Plusieurs éclatent exactement sur nos têtes, une fusée d'obus brise la planche de mon sac.
Le Capitaine avait fuit tellement vite, que nous ne pouvions le suivre. Nous sommes arrêtés par une Cie du 132 ème commandée par un Lieutenant qui nous ordonne de marcher avec lui. Nous faisons demi-tour, et en quand. nous nous arrêtons à un repli de terrain, où nous subissons un feu intense. Nous ripostons d'une façon peu efficace.
Comme chef de section, je m'étais placé un peu en arrière, à un endroit où j'espérais voir, ce fut en vain. j'avais beau scruter avec ma jumelle, je ne pouvais rien découvrir. Je finis par y renoncer et à m'allonger dans un sillon de champ de pommes de terre. Bien m'en a pris, car au même instant, repéré par une mitrailleuse je subis une véritable avalanche de balles. J'étais persuadé que tout était fini pour moi. Les balles arrivaient par devant et sur le côté. Trois balles traversèrent mon sac de part en part et si je n'avais pas eu la tête baissée, je les avais dans le crâne. Une autre traversa le fût de mon fusil.
Enfin le Lieutenant du 132 ème nous donna l'ordre de repli. Nous pouvions le faire soit en rampant, soit en courant. Les allemands tirent tellement bas, que c'est en courant que nous partons. En nous voyant nous lever, les allemands redoublent leurs feux et les mitrailleuses crachent de plus belle. Beaucoup des nôtres tombent : Bellot, l'adjudant-chef, est tué. Nous faisons environ 150 mètres de la sorte, puis nous arrivons à une haie que nous franchissons, n'importe comment, et nous tombons dans un chemin creux, c'est grâce à ce chemin que les survivants d'alors doivent leur vie. Nous étions pour un moment à l'abri des balles !
Toujours déployés en tirailleurs nous gagnons la crête sous le feu de l'infanterie. Cette crête franchie, nous ne craignons plus que les obus, alors nous nous reformons en ligne de sections par quatre à 50 mètres. Je prends en main les rescapés du 82, environ 35 hommes, et je forme une section à la droite du 32.
Ne voulant plus rester avec ces gens-là, et voulant retrouver mon régiment, j'oblique à droite de plus en plus, dans l'intention de les perdre . Un petit bois me fournit cette occasion. Fatigués par la longue course, nous faisons une pose de 10 minutes. Nous nous remettons en marche, dans la même direction, ne sachant trop où aller, lorsque j'aperçois le Général Marquet. Je me dirige vers lui pour lui demander où est le 82.
"Le 82, me répondit-il, mais je n'en sait rien, je le cherche, et je suis heureux de vous trouver,"Vous allez prendre un petit poste sur la ligne du Decauville, il faut protéger vos camarades qui dorment. Et me voilà établissant mon petit poste. Nous faisons encore face à l'ennemi et nous croyons être seuls.
Nous n'avons rien à manger, j'organise une corvée d'eau qui va jusqu'à Rembercourt pour en trouver. Un quart d'eau fait notre repas. Coussy qui dans sa journée n'a eu que sa capote traversée nous fait un lit dans de la paille et nous nous endormons tous les deux.
Quel beau dimanche ! ce fut certainement la plus dure journée et la plus meurtrière de ma campagne. L'effectif de la Cie, qui était le matin de 372, reste réduit à 140.
La Compagnie est alors commandée par un Sous-Lieutenant de la 9 ème nommé Hay, et passé provisoirement à la 3 ème. Le Capitaine Devaux, a été évacué pour dépression morale.
L'état-Major de la 1ère section ne comprend plus que 3 membres : Roy, Coussy et moi, Poilevé nous ayant quitté pour aller à la liaison, les autres sont blessés : Bonnichon au pied, Lambert à la jambe, Philippe et Antoine à la tête, rien de grave heureusement.
Le Commandant Duval a été sérieusement blessé et il ne reste plus un seul Capitaine dans le bataillon. Un Lieutenant en prend le commandement.
Beaucoup de régiments du Corps d'armée ont également beaucoup souffert. Il faut résister maintenant et ne plus reculer sans combattre, la lutte va commencer sérieusement, mais hélas pour l'entamer nous n'avons plus les cadres du début, beaucoup sont tombés au Champ d'honneur.

- Le 7 septembre : Au lever du jour, j'abandonne mon petit poste et je me mets à la recherche de mon régiment. Il n'est pas loin, il a bivouaqué dans un champ près de Rembercourt. (Carte du front).
Nous sommes couverts par un autre bataillon et nous prenons nos positions en réserve. Nous nous plaçons le long d'un ruisseau en ligne de section par 4. Le canon tonne toute la journée mais cela ne nous empêche pas de manger et de nous nettoyer au ruisseau.
Un peu avant la tombée de la nuit, le bataillon qui est devant nous se replie et nous partons pour protéger sa retraite. Nous nous plaçons dans un champ prêt à intervenir.
La nuit nous surprend dans ce champ. Le combat devant nous a cessé.
Tout d'un coup, des coups de feu partent près de nous et les balles sifflent à nos oreilles. Nous croyons à une erreur des français et nous crions de toutes nos forces "ne tirez pas,<français> cessez le feu" mais les coups de fusils partent toujours. Ce sont des allemands. Comment ont-ils pu venir de ce côté ?
Le 4 ème d'infanterie occupe les avant postes dans un bois à environ 2 kilomètres. Une fois installés, les hommes se sont mis en bras de chemise et faisaient leur soupe tranquillement. Les allemands les ont surpris et ils se sont sauvés se repliant sur Rembercourt. Les allemands les ont suivis et voilà comment ils sont arrivés jusqu'à nous.
"Ils ont pris le pain de vos camarades" s'écrit le Général Marquet, "il faut aller le rechercher".
Nous voilà donc partis au coude à coude, dans la direction du bois où se trouvait le 4 ème quelques minutes avant et où se trouvent actuellement les allemands.
Leur présence nous est signalée par l'alerte que sonnent leurs fifres et les lumières qu'ils font. Nous avançons toujours et nous arrivons de la sorte à 20 mètres du bois. Les allemands nous reçoivent par un feu de salve et beaucoup des nôtres tombent.
Aussitôt le cri "à la baïonnette" sort de nos bouches et nous chargeons dans le bois.
Les allemands se replient alors à l'intérieur du bois. Nous y entrons derrière eux en les poursuivant. Mais nous ne sommes pas longs à nous disperser, car le bois est très obscur et il n'y a aucun chemin de tracé, nos fusils se prennent dans les branches, nous tombons dans des trous. Au bout d'un quart d'heure, je me trouve seul dans un coin de ce bois absolument perdu, ne sachant où aller et d'où j'étais venu. La fusillade fait rage de tous côtés.
Je prends mon parti de marcher droit devant moi. En route je rencontre plusieurs hommes, qui reconnaissant un sergent se joignent à moi.
Guidé par la lueur de
Rembercourt en flammes, je gagne la lisière . Nous nous trouvons face à face avec 5 allemands, qui comme nous étaient perdus.
"Waffen wieder" leur criais-je aussitôt. Deux lèvent la crosse en l'air, les trois autres tirent et tous prennent la fuite. Mon voisin de gauche est touché au ventre. Ses cartouches ont dû prendre feu, car aussitôt une grande flamme jaillit de son abdomen, le malheureux fait des efforts désespérés pour éteindre les flammes avec ses mains et sa capote.
Mon voisin de droite reçois une balle en plein front, son képi vole verticalement jusqu'à la cime des arbres. Il doit être tué, car il tombe comme une masse et ne bouge plus. Les autres, dont moi, sommes intacts.
Nous nous précipitons alors à la poursuite des 5 fuyards, qui ne tardent pas à être rattrapés. Celui que je m'apprêtais à enfiler, fait subitement demi-tour et me met en joue. Je m'arrête brusquement à 20 centimètres de l'extrémité du canon de son fusil et instinctivement j'appuie sur la gâchette de mon arme, le coup part et traverse la tête de l'allemand, qui probablement tué sur le coup, s'effondre comme une masse à mes pieds. Je l'ai échappé belle !!
Un homme de ma section, Roussel un petit paysan, cloue un allemand à un arbre, la baïonnette entrée par les reins l'avait traversé complètement pour s'enfoncer dans l'arbre, à tel point que Roussel ne pouvait plus dégager son arme. Les autres allemands disparaissent dans l'obscurité et nous voici de nouveau tout seul.
Le bruit des chevaux des uhlans qui venaient en renfort nous arrive et dans la lueur du village qui brûlait nous voyons des colonnes allemandes arriver.
Il ne fait pas bon de rester ici. Aussi, prenons nous le parti de regagner à nous 5 Rembercourt. Nous y arrivons dans les derniers et avec joie, j'y retrouve Coussy qui avait perdu son fusil dans le bois, Pradalès et Dumazodier. Roy a reçu une balle explosive dans le talon et à grand peine s'est trainé jusqu'ici. Nous cherchons un brancard pour le porter jusqu'à la gare, mais en vain. Nous le couchons entre nous et nous endormons.
Beaucoup des nôtres sont tombés pendant cette attaque, la 1 ère section ne compte plus que 18 hommes sur 80 que nous étions le 30 août. Bazaud, un charmant caporal, de l'active a été tué d'une balle dans la tête.
Cette attaque était absurde, nous avons laissé les allemands dans le bois, et nous ne pouvions pas y rester puis qu'aucun renfort n'est venu.
Il paraîtrait qu'une mitrailleuse allemande était posée au coin du bois, les hommes qui l'ont vue auraient du me le dire, il nous aurait été très facile de pouvoir l'emporter. Quel succès lorsque l'on nous aurait vu revenir avec.
Notre bivouac est installé sur le bord de la route.

- Le 8 septembre : Nous restons sur nos positions, dans le petit val. Toute la journée nous restons postés contre un talus, le 2 ème bataillon en avant de nous déployé en tirailleurs et nous devons le renforcer en cas d'attaque.
Le canon ennemi tonne toute la journée. Le nôtre répond à peine. Nous paraissons isolés et nous sommes intimement persuadés que nous sommes coupés. Nous allons être prisonniers, pensons nous et bientôt nous goûterons les fayots boches.
Coussy et moi, le restant de l'état-major, mangeons une boite de singe et allons aux distributions que nous touchons. nous allions les répartir par sections, lorsque l'ordre de marcher en avant nous arrive.
Nous gagnons une route où déployés en tirailleurs nous attendons. Quelques obus nous arrosent, mais sans mal.
La nuit vient enfin, nous retournons à notre bivouac, un peu en arrière.
Rembercourt est toujours bombardé avec des grosses pièces et des obus incendiaires. il ne reste rien de la vieille église si jolie.
La seule distraction de la journée est la chasse aux taubes (avions allemand, NDLR). Je suis avec intérêt l'éclatement de chaque obus qui pourchassent les avions ennemis.

- Le 9 septembre : Le matin, avant le jour, nous allons prendre position près de Rembercourt, sur la route où se trouvait hier la 4 ème compagnie. Le Lieutenant Hay reste avec la 1 ère section.
Il fait beau, nous plaçons des observateurs et nous attendons. Nous envoyons nos cuisiniers à Rembercourt.
Nous établissons un peu sur la hauteur des tranchées. Notre artillerie travaille avec ardeur, la leur répond à peine, on a parait-il arrêté leur convoi de munitions près de Verdun.
Nous ne sommes plus à la Cie. que 135 sur 290 que nous étions . Nous n'avons plus d'officiers ni de sous officiers, ceux-ci sont tous blessés ou disparus. Un sous-Lieutenant, genre Louis Tripet a été obligé de prendre par intérim le commandement de la compagnie.
Aujourd'hui nous restons sur nos positions, la journée sera calme, je crois, les boches ont l'air aussi fatigués que nous. Nous serons remplacés ce soir et peut-être pourrons nous embarquer.
Je suis très habitué à ne plus dormir et à manger à peine, la preuve en est que mon estomac me laisse tranquille. Les nouvelles générales sont meilleures, ceci nous rend l'âme gaie et nous donne à nouveau du courage. La paix parait proche, quel bonheur!!
A 6 heures, notre route est bombardée avec ardeur, des gros noirs arrivent en plein milieu de la route. Nous faisons le gros dos, nous avons 9 blessés et 1 mort. La nuit arrive enfin, nous restons sur la route et nous endormons dans les fossés.
Les distributions sont arrivées, on en fera la répartition demain au petit jour.

- Le 10 septembre : a minuit 30, nous sommes réveillés par une vive fusillade. Nous nous levons et tâchons de nous renseigner. Le bruit cessant, nous croyons à une fausse alerte et nous nous rendormons. La pluie par contre commence à tomber violemment. Vers 1 heure 1/2 , une plus vive fusillade nous réveille de nouveau. Nous sommes complètement trempés par la pluie. Cette fois-ci nous ne jugeons pas utile de nous lever.
La fusillade crépite avec plus de rage, les balles arrivent jusqu'à nous. Plus de doute, cette fois, c'est sérieux. Nous sommes donc tous debout et gagnons nos places au combat.
Le canon se met de la partie et de tous les côtés les balles arrivent, devant, derrière, à droite et à gauche. La nuit est très obscure et nous ne comprenons rien à la situation.
Le Général Marquet passe, nous l'interrogeons, il ne comprend rien non plus.
Pourtant les allemands approchent, des fusées bleues et rouges illuminent le ciel, ils avancent. Bientôt sur notre droite, leur charge retentit de leurs cris mêles au bruit de leurs fifres. Puis notre clairon à son tour sonne la charge. Les balles sifflent toujours, le canon se tait, et le bruit des mitrailleuses se mêle aux hurlements des hommes. Successivement, français et allemands chargent les uns sur les autres pendant toute la durée de la nuit.
De nôtre côté, c'est plus calme, nous recevons beaucoup de balles de toutes les directions. Nous ne tirons pas, ne sachant ce qui se passe. Nous avons tous les yeux fixés devant nous dans le noir. Nous sommes trempés à tel point que nous ne pouvons plus ouvrir nos cartouchières.
Nous ne voyons rien et pourtant les balles arrivent toujours. De temps en temps, le cri de la chouette, qui soulève une réponse identique. Ce sont les allemands qui causent.
Une section de français, subitement arrive devant la mienne, déployée en tirailleurs et s'avance sur moi. J'en suis surpris, croyant qu'il n'y avait personne devant. Par bonheur, le Capitaine Fleuriot qui passait là, se fait la même réflexion que moi et me prie de les arrêter.
Halte-là!... soldats français. Quel régiment ? quatre vingt deux. Quelle Compagnie ?... zizième.
A l'accent teuton le Capitaine me fait tirer et nos lapins s'enfuient. C'était des allemands qui avaient revêtus des uniformes français.
Premier bataillon du 82, ne tirez pas, crie une voix forte mais cette fois nous ne nous laissons pas prendre et nous continuons notre feu.
Jusqu'au jour nous continuons à recevoir des balles et à tirer dans la direction de l'ennemi. La pluie continue, torrentielle, nous sommes trempés jusqu'aux os. Quelques soldats passent emportant notre Colonel. Il est très gravement blessé. Deux balles françaises l'ont atteint en pleine poitrine. Il n'avait pas, parait-il, répondu aux sommations des sentinelles qui alors ont tiré sur lui.
Le jour se lève enfin, toujours au milieu du vacarme.
Il n'y a plus personne à nôtre gauche et les allemands sont tout près. Le Capitaine Heuzé, perdu, passe par là et nous dit de le suivre, c'est ce que nous faisons avec plaisir.
Nous traversons Rembercourt en passant par derrière les maisons, les balles allemandes nous suivent. Beaucoup de blessés sont sur le seuil des portes.
Le village traversé, je retrouve Coussy et avec notre section, nous marchons parallèlement à la route qui est repérée. Nous nous arrêtons à Marats-le-grand. Il s'agit maintenant de retrouver le régiment.
Le Capitaine Heuzé m'envoie questionner les gendarmes à ce sujet, et leur demander s'ils ont vu le drapeau du régiment.
D'après leurs renseignements, nous retrouvons le 82, encore beaucoup plus faible, et que commande maintenant le Commandant Bérard.
On attend les ordres, qui viennent 1 heure après. Nous partons en arrière et gagnons de la sorte un plateau. Un troupeau de moutons s'y trouvant, nous nous précipitons dessus et chaque section en prend un qu'elle égorge.
Nous étions tous persuadés que nous allions être relevés, lorsque l'ordre nous arrive de remarcher en avant et, c'est tout à fait démoralisés, que nous faisons demi-tour. Nous marchons en ligne de section par 4 puis couchés dans un champ nous attendons. Quelques obus nous sont destinés. La nuit survenant nous gagnons le plateau de Condé en Barrois où nous préparons un bivouac. De la paille d'avoine mouillée fait notre bonheur.
Quelques hommes descendent à Condé, trouvent dans le pays, du vin et des confitures, quelques poulets et lapins, qu'ils font cuire avec du mouton. Le repas pris, la vie nous parait plus belle. Nous recommençons à plaisanter et à parler de Paris, ce Paris que nous aimons tous, et qui nous semble si loin.
La nuit étant complètement venue, Coussy et moi, nous nous étalons sur notre lit de paille mouillée en attendant l'heure de la distribution.

- Le 11 septembre : A 1 heure nous sommes avertis que les voitures sont là, nous y allons tous les deux avec 20 hommes, il faut faire 6 kilomètres dans la nuit pour les trouver.
Fildier que je vois me donne des chaussettes, un drap en guise de cache nez, du cacao. Je suis heureux de le voir. Puis nous regagnons notre emplacement où nous nous endormons.
Nous restons toute la journée sur nos positions. L'intensité du feu de l'ennemi a sensiblement diminué.
On nous autorise à faire, derrière un bois, du feu dans un trou. Nous pouvons donc nous sécher un peu. Quel bien cela nous fait ! Nous faisons cuire notre viande et fumons la pipe.
Le soir je retourne aux distributions revoir Fildier, je lui fait beaucoup de commandes, car il va tous les jours à Bar-le-duc.
Nous fabriquons des abris en paille à l'intérieur desquels nous nous couchons.
Quand nous aurons vu la marche en avant, disions nous, Coussy et moi, nous n'aurons plus rien à voir, et nous pourrons nous en aller chez nous.

- Le 12 septembre : La journée se passe sans changement. Les obus allemands sont très rares, nous n'y comprenons rien. Un seul taube nous survole, nous le chassons par une fusillade. Tout le jour se passe à fumer des pipes. Après les distributions nous regagnons nos abris où nous sommes très mal pour dormir.
Le Lieutenant Devouges est nommé Capitaine.

- Le 13 septembre : A 2 heures nos sommes réveillés par une pluie torrentielle, nos abris sont démolis par la tempête et changés en torrents.
A 3 heures il faut partir et sous cette pluie, formidable, nous gagnons Condé, que nous traversons pour aller plus en avant, occuper un champ devant un bois changé en marre. Nous y pataugeons pendant 2 heures.
Coussy malade est resté à Condé. Nous repartons bientôt et traversons le bois à la lisière duquel nous devons prendre les avant-postes qu'occupe le 15 ème Corps.
Nous nous installons, plaçons nos petits postes et faisons de petites reconnaissances. Il n'y a plus d'allemands, ils sont partis. L'emplacement que nous occupons a été celui d'un combat, des cadavres français et boches sillonnent les champs. Nous trouvons des casques et des vêtements allemands de toutes sortes. Nous ramassons un blessé allemand, qui est là depuis 5 jours. Nous le faisons porter à Condé, le malheureux meurt en route.
Comme il n'y a pas de danger immédiat, nous faisons enterrer les morts par nos hommes.
Nous faisons du café avec l'eau qu'il y a dans les ornières des chemins.
A 10 heures, nous recevons l'ordre d'aller à L'Isle en Barrois. Pour y aller il nous faut traverser des chemins et des routes remplis de cadavres allemands.
Des tranchées sont pleines de boches morts dans la position du combat. De nombreux fusils, français et boches, sont éparpillés sur tout le parcourt, des munitions abandonnées.
Nous arrivons à L'Isle en Barrois et nous nous arrêtons à l'entrée du village. (Carte du front).
Je vais faire une patrouille à l'intérieur , avec ordre de rapporter à manger et à boire, si possible. Je visite d'abord le château du pays. Dans la salle à manger , le couvert était mis, messieurs les officiers allemands, quelques heures avant,y étaient installés, lorsqu'un obus français de 75 traversant le mur tombât sur la table sans éclater.
Dans les autres pièces et dans la cave, tout était pillé, les armoires renversées, le linge éparpillé, toutes les bouteilles vides.
Toutes les maisons que nous traversons sont dans le même état. Les allemands avaient fait des crêpes partout et étant partis précipitamment les avaient abandonnées dans les poêles.
Dans un bois à côté, des faisceaux tous formés étaient encore là, des tentes toutes montées et des monceaux de munitions, dont des bandes de mitrailleuse. Nous faisons une ample provision de casques que nous nous promettons de donner à nos camarades.
Nous ne trouvons rien à manger, nous nous contentons donc d'avaler une boite de singe, 2 biscuits et quelques prunes.
Quelques uns de nos hommes changent leurs souliers et leurs sacs, pour des souliers et des sacs boches.
Nous recevons l'ordre de partir, nous revenons à Condé, où je retrouve Coussy à qui je donne un casque. Nous marchons dans la direction de Vaubécourt, nous marchons sans arrêt, absolument exténués et fourbus. Les hommes tombent de fatigue, et pourtant nous marchons toujours.
Il fait pleine nuit, à chaque halte, tout le monde se couche sur la route et s'endort. C'est un travail pour repartir. Le bruit court que l'on doit cantonner au premier village et chaque fois l'on traverse celui-ci, sans s'arrêter.
Les hommes abandonnent petit à petit et les rangs s"éclaircissent.
Enfin arrivé à Villotte, le régiment s'arrête, juste devant une scierie. Pour ne pas perdre de temps et se laisser chiper la place par d'autres, je fais entrer ma section à l'intérieur, puis Coussy, Pradalès et moi, nous nous installons par terre, les uns près des autres et nous nous endormons aussitôt. Nous nous endormons si vite que nous n'entendons pas le régiment partir.

- Le 14 septembre : Nous nous réveillons à 6 heures du matin tout surpris de ne plus voir personnes. Sans nous affoler, nous faisons du café et du cacao, puis nous rassemblons la section, et à 7 heures nous nous mettons en route.
Nous marchons d'abord avec un régiment du 15 ème Corps, gens du midi,que nous ne pouvons pas comprendre. Un officier supérieur nous dit que le 5 ème Corps est à gauche. Hardiment nous obliquons à la première route et avec ma section nous nous dirigeons vers Triaucourt.
Mais comme il faut traverser un très grand bois, je constitue une petite avant-garde de 3 hommes, et nous nous engageons dans ce grand bois. Tout le long il y a des tombes surmontées d'un casque, des tables et des objets de literie, des fauteuils, de nombreuses chaises sont tout le long du chemin; les allemands aiment le confortable, même dans les bois.
Le bois traversé, nous apercevons Triaucourt, nous faisons une halte. Des vaches passent, nous allons les traire et buvons le lait. Puis nous reprenons notre chemin. De temps en temps de superbes tombes ornées de fleurs apparaissent, ce sont celles des officiers.
Nous arrivons enfin à Triaucourt, la moitié de ce pauvre pays a bien souffert.
Nous nous installons sous un hangar, puis avec le système D nous trouvons 2 lapins, de la salade, des pommes de terre et du raisin.Nous faisons donc un bon repas.
Coussy part aux renseignements, il apprend que le 82 est au-delà de Clermont en Argonne, aux avant-postes.Nous repartons donc vers 1 heure dans cette direction.
La marche est pénible, car la route est encombrée par tous les convois et par les trains de munitions, nous avançons lentement.
La nuit nous surprend avant notre arrivée à Clermont et vue l'impossibilité de retrouver, la nuit,notre régiment, j'installe ma section dans une maison de Clermont en Argonne. Les maisons intactes sont rares dans ce pauvre pays.
Dans la maison où nous nous installons, qui comme toutes les autres ont été pillées, nous occupons, les 3 sergents une chambre à 2 lits. Nous faisons un nettoyage succinct, là, les allemands avaient fait leurs ordures partout, et principalement sur le linge. ( NDLR : en 1940, les allemands firent la même chose chez mes futurs beaux parents dans un petit village du Loiret )
Nous trouvons un réchaud, nous faisons cuire du singe et des petits pois en conserve que nous avons trouvés, un peu de cacao, et nous nous étalons sur les lits, tout à fait heureux de nous déchausser, nous commencions à avoir très mal aux pieds.
Nous nous endormons rapidement, et malgré mon index gauche ayant un panaris qui commence à me faire souffrir, je passe une excellente nuit.

- Le 15 septembre : A 6 heures après avoir pris le café, nous nous mettons en marche dans la direction du nord, cherchant toujours notre régiment.
Nous le trouvons à Boureuilles, où le Lieutenant est heureux de nous revoir. Après avoir mangé du pain et de la graisse, nous allons nous installer dans un petit bois en petits postes.
L'ordre arrive bientôt d'aller attaquer Varennes. Nous y allons sous un feu d'artillerie assez dense, en colonnes par 1, en paquets de 5. Nous entrons à Varennes sans coup férir les allemands ayant quitter la ville 2 heures avant. Nous nous installons le long d'un mur en attendant des ordres. Le Général arrive au grand galop de son cheval et après quelques phrases patriotiques où il nous parla de Mayence et de Sébastopol, accompagné du tu-tu de sa trompette, il nous emmène à l'assaut du plateau "Ils n'ont plus de munitions, ils abandonnent même leurs canons, voyez plus tôt". 
En effet, sur la crête il y avait 6 pièces qui se distinguaient très bien. Le courage nous prend et nous montons à l'assaut pour nous en emparer.
Nous y arrivons à la nuit tombante, et nous ne pouvons nous empêcher de rire en voyant que les pièces sont en bois. Nous creusons devant cette batterie une petite tranchée, dans laquelle nous passons la nuit, et quelle nuit !!
A peine étendu une pluie intense commence à tomber, nous nous recouvrons avec les toiles de tente que nous avons chipées aux boches et malgré cela nous sommes traversés.Force nous est de rester debout tout le temps et de passer la nuit à battre la semelle.

- Le 16 septembre : Nous prenons position dans le ravin, une compagnie seule restant dans nos tranchées.
L'ordre nous vient vers 10 heures d'attaquer Baulny, la 3 ème Cie. attaquera par la gauche en passant par la vallée.
Nous commençons le mouvement, la 1 ère section est avant-garde, je marche donc avec le 1 er éclaireur. Nous traversons le pont, puis nous suivons un petit chemin qui nous conduit devant Baulny. Je fais coucher les hommes en attendant l'ordre de se déployer, mais c'est un contre-ordre qui nous arrive, nous devons rebrousser chemin, d'avant-garde, nous passons arrière-garde.
Toute la Cie. passe sans mal sur le pont, mais lorsque j'y arrive, celui-ci est balayé par des mitrailleuses, à tel point que nous ne pouvons passer. Je reste donc sur cette rive en coordonnant le mouvement de ma section avec celui du reste de la Cie.
La Compagnie restant sur place nous nous installons dans un château en petit poste. Je place 2 sentinelles dans le grenier, l'une regardant l'ennemi, l'autre la Cie. Nous trouvons des poules, du potiron et des pommes de terre et nous préparons notre repas.
La maison avait été occupée par les allemands et cependant elle n'est pas trop pillée. Le salon avait servi de dortoir et les pianos sont ouverts et un homme en joue en attendant le repas.
Nous mangeons assez confortablement et faisons la sieste vautrés sur les canapés.
Vers 3 heures, la sentinelle nous avertis que la Cie. marche sur Baulny. Je donne l'ordre aussitôt de mettre sac au dos et nous partons la rejoindre.
Nous arrivons au pont que nous traversons sans perte, puis nous marchons avec le reste de la Cie.à l'attaque de ce fameux Baulny. Nous sommes repoussés avec quelques pertes. La nuit étant venue, nous retournons à l'attaque voulant surprendre l'ennemi, mais il veillait. Une sentinelle placée dans un grenier donnait l'alarme avec sa cigarette et la fusillade nous reçut à bout portant. Encore une fois nous sommes obligés de nous replier ramenant quelques blessés et en en laissant d'autres sur le terrain.
Le bataillon se rassemble ensuite dans le ravin où nous bivouaquons. A 11 heures 1/2, je demande à partir avec la distribution et à passer le lendemain la visite, mon doigt me faisant beaucoup souffrir, il faut l'ouvrir. Nous gagnons Varennes par la route. En y arrivant, nous apprenons que les distributions auront lieu demain au petit jour. Nous nous installons donc dans une grange; Toute la nuit  Varennes
fut bombardée et quelques maisons voisines de la nôtre sautèrent sous les obus. Nous jugeons plus prudent de changer de quartier et nous gagnons un autre coin de la ville. Un sergent de la 1 ère Cie. et moi rentrons dans une maison pour nous coucher. Dans le lit que nous voulons occuper, nous découvrons le cadavre d'une vieille femme, morte, probablement de peur. Nous allons donc dormir dans la maison en face.

- Le 17 septembre : Au petit jour, nous apprenons que les distributions ont eu lieu la veille à 9 heures.
Les hommes retournent à leur Cie. les mains vides. Quant à moi, je gagne l'église pour aller à la visite. Deux à trois cents malades attendent déjà.
Le médecin tout d'un coup sort de l'église, revolver au poing et menace de tirer sur les malades, ceux-ci reculent de quelques pas mais ne s'en vont pas. Le médecin donne alors l'ordre à des chasseurs à cheval de charger sur eux et les malades se sauvent tous. La grande partie ne retourne pas à leur Cie. mais se cache dans les maisons de Varennes, où beaucoup d'autres déjà sont cachés.
En ce qui me concerne, j'étais resté sur le porche de l'église. Enfin, le médecin du 82 arrive, je m'adresse à lui et il m'ouvre le doigt, me fait un pansement et me dit de rester une journée au repos.
Je gagne donc une maison déjà habitée par plusieurs soldats et j'y passe la journée mangeant avec ceux qui se trouvaient là.
Poilvé qui était aussi à Varennes se joint à moi et nous allons passer la nuit dans une maison place de l'église, appartenant à un serrurier. Toute la nuit une vive fusillade nous tient éveillés, plusieurs fois elle semble tellement proche que nous nous levons et sortons pour aller nous battre, mais elle est très éloignée, beaucoup plus que nous le pensions; alors nous regagnons notre domicile.

18 septembre : Avant le jour nous retrouvons notre Cie. qui est venue cantonner à Varennes.
Nous apprenons la mort du Général Marquet, tué par un obus, en menant ses hommes à l'assaut de Baulny « En avant, mes enfants, ça ne tue pas» criait-il, quelques minutes avant sa mort. Le même obus a blessé le Capitaine Le Camus.
Nous retournons dans notre ravin, où maintenant il y avait de la boue jusqu'aux genoux; puis la 3 ème Compagnie va se porter en avant- poste de combat dans la vallée.
A 3 heures nous recevons l'ordre d'attaquer Baulny à 3 heures 45, encore une fois nous nous regardons anxieux . Là où nous avons échoué plusieurs fois, il est probable que nous échouerons encore aujourd'hui, avec cette raison que nous sommes moins nombreux.
L'artillerie commence bien l'attaque, mais, nous, nous recevons l'ordre de rester et la nuit nous surprend dans l'attente.
La 4 ème Cie. vient nous relever, heureusement, car nous étions trempés malgré nos abris improvisés. Nous gagnons Varennes, qui reçoit un obus toutes les cinq minutes, et y cantonnons. Nous couchons tout habillés, dans de bons lits où nous avons chaud.

- Le 19 septembre : Nous retournons bien avant le jour à notre fameux ravin, où nous restons toute la journée à fumer des pipes et à chanter les airs favoris de Fragson, nos faisons vers 3 heures un repas froid, et continuons à patauger dans la boue.
Comme les jours précédents quelques obus nous tombent sur la tête, il y a de rares blessés et 1 mort, que nous enterrons au milieu de nous.
Vers 4 heures une fausse alerte nous met en éveil, des coups de feu partent de tous côtés, ce n'est rien.
Nous bivouaquons près de la route. Coussy va aux distributions, le veinard, il pourra dormir à l'abri de la pluie. Pradalès et moi couchons ensemble sous une toile de tente boche.

- Le 20 septembre : Nous restons dans notre ravin, dont nous commençons à en avoir par dessus la tête. Nous serions désireux de voir une autre boue que celle dans laquelle nous pataugeons depuis plusieurs jours.
Le Lieutenant Lecomte, évacué depuis le 2 septembre, revient parmi nous, c'est un plaisir fou de le revoir. Il a été à Troyes et à Paris, il nous annonce que nous sommes victorieux, nous nous en doutions et cela nous fait plaisir.
Il pleut toute la journée pour changer. Malgré les obus qui nous arrosent, nous n'y faisons plus attention maintenant, nous somme plus gais.
Nous recouchons sur l'emplacement de la veille, Pradalès et moi sous la toile de tente de Coussy qui va encore à Varennes pour les distributions.
Que les journées sont longues et pénibles à rester dans une inaction semblable. Le matin nous attendons avec impatience la nuit qui nous permettra de dormir et qui arrêtera le combat, si combat il y a. La nuit ne pouvant pas dormir, à cause de la pluie et du froid, nous attendons avec impatience le jour qui nous permettra de nous réchauffer un peu.
   Et le temps passe .....!!

- Le 21 septembre : Nous ne quittons pas notre fameux ravin, dans lequel nous commençons à trouver le temps long. La journée se passe à ne rien faire, à recevoir quelques obus, à fumer et à plaisanter.
Vers les 4 heures nous faisons une attaque sur Baulny et Charpentry, mais nous attaquons avec mollesse et comme d'habitude nous sommes repoussés.
Nous recouchons encore à la même place, dans le brouillard et la boue.

- Le 22 septembre : Le brouillard est intense et comme les jours précédents nous restons dans notre ravin.
La 2 ème Cie occupe les tranchées en avant du ravin et les autres compagnies du bataillon demeurent dans leur trou.
Vers les 10 heures nous apprenons que les allemands avancent en rangs serrés, colonnes par quatre sur nos positions et que la 2 ème Cie a quitté les tranchées.
Je suis commandé pour aller les occuper avec ma section, 14 hommes, avec mission de tenir.
Nous partons déployés en tirailleurs, à 6 pas, et nous parcourons les 1 200 mètres sous un feu d'artillerie, nous le subissons sans perte. Arrivés aux tranchées, nous voyons devant nous les colonnes allemandes à 400 ou 500 mètres qui avancent, nous ouvrons immédiatement le feu sur elles. Feu qui doit être assez efficace, car elles s'arrêtent et envoient une patrouille dans notre direction pour nous reconnaître.
Toute ma section continue à tirer sur la masse arrêtée, tandis que mon observateur placé près de moi se charge de la patrouille qui maintenant se trouve à 200 mètres. Bon tireur, il descend plusieurs boches et les autres fuient. Une autre patrouille arrive aussitôt plus nombreuse, un feu de salve la reçoit à 200 mètres également et elle se replie.
Nous continuons de tirer sur les colonnes arrêtées, pendant près d'une heure et demie, nous avions par bonheure été ravitaillés la nuit en munitions et chaque homme a sur lui 220 cartouches.
Mais hélas elles ne durèrent pas longtemps et bientôt repérés par l'artillerie de campagne qui nous envoie des percutants au beau milieu de nos tranchées, en tirant de côté, nous sommes pris d'enfilade. Notre feu diminuant d'intensité les colonnes allemandes ont repris leur marche.
Ne pouvant plus tenir sous le feu de l'artillerie, je donne l'ordre de se replier et nous gagnons individuellement le ravin. Je quitte la tranchée le dernier, heureux de n'y laisser personne.
Arrivé au ravin, je raconte mon histoire au Lieutenant Le Comte, qui me félicite chaudement et m'apprend que proposé pour le grade de Sous-Lieutenant, je dois passer le 25 septembre.
L'ordre de retraite était arrivé et le bataillon avait déjà commencé son mouvement de repli. «Il faut encore tenir un quart d'heure, me dit le Lieutenant, Drouet retournez en avant et résistez encore un peu».
N'ayant plus de cartouches les hommes des autres sections en donnent à mes poilus et nous repartons. Cette fois nous ne retournons pas jusqu'aux tranchées, celles-ci étant déjà occupées par les allemands, mais je fais arrêter ma section sur le crêt d'un petit mamelon et nous attendons.
Sur ma droite à environ 400 mètres je voyais des troupes défiler en tirailleurs, en bon ordre, mais le brouillard m'empêchait de distinguer si s'étaient des français ou des allemands. Voulant en avoir le coeur net, je m'avance d'environ 200 mètres dans cette direction où avec ma jumelle je me mets à observer. En Vain !.
Par contre, les allemands m'avaient bien vu et une salve d'artillerie est tirée sur moi, je ne m'en inquiète pas, puis une seconde salve suit la première, je reçois un grand choc dans mon genou, qui me fait l'effet d'un fort coup de bâton. Un schrapnell se trouvant encore chaud à proximité je crois que c'est lui qui m'a touché et je le mets dans ma cartouchière.
Mais puisque je ne distingue rien je trouve que ma présence n'est pas utile en ce lieu et que ma personne serait mieux ailleurs, aussi je veux partir.
Je me lève, mais pour m'affaler aussitôt. Je suis blessé au genou et un flot de sang jaillit aussitôt. Mes hommes m'avaient suivi du regard et m'ayant vu retomber ont compris que j'étais blessé. Deux d'entre eux accourent pour me ramasser. Je me lève avec leur aide et appuyé sur leurs épaules je marche péniblement. Les allemands nous voient et nous suivent avec leurs obus, un d'eux éclate sur notre tête et l'homme qui me soutenait à droite, un réserviste dont je ne sais le nom, tombe par terre la tête coupée. Pauvre ami, je suis pour quelque chose dans ta mort ! .
Il n'y a pas de temps à perdre, ma section reçoit également des obus qui font des dégâts au milieu d'elle. Il y a plus d'un quart d'heure que nous sommes là et je donne l'ordre de repli pour tout le monde. Je renvoie l'homme qui me soutient encore à ma gauche ne voulant pas l'exposer plus longtemps.
Je gagne seul péniblement le ravin, où à l'abri pour quelques minutes, je me fais un pansement.
Toute la Cie est partie par la vallée, mais je ne peux songer à partir par là ma jambe ne me permettant pas de marcher dans une boue aussi grasse. Je pars donc par la route marchant péniblement, avançant à peine. A aucun prix je ne veux rester dans la main des allemands. Ceux-ci m'aperçoivent sur la route, où seul je ne cherche aucunement à me dissimuler. Ils tirent sur moi sans arrêt, les maladroits, pas un n'a pu m'atteindre. Au bout d'un quart d'heure de marche dans ces conditions, j'arrive au tournant de la route, encore quelques mètres et je suis sauvé.
J'ai cette chance inespérée, me voici maintenant à l'abri de leurs balles. J'ai l'intention de me reposer un peu, mais je crains de ne pouvoir repartir et je continue ma route. Mon genou saigne toujours abondamment, mon pansement n'a pas tenu et a glissé sur ma jambe. J'arrive enfin aux carrières de Varennes où sont encore quelques brancardiers. Ils me refont un pansement et me mettent sur la plaie un peu de teinture d'iode.
Puis sentant le danger approcher ils s'en vont en me laissant. Je prends mon courage à deux mains et avec ma marche rapide je reprends ma course. Je traverse Varennes, où il n'y a plus personne, les allemands avec des obus incendiaires ont mis le feu aux quatre coins de la ville, l'église n'est plus qu'une ruine et la maison historique où Louis XVI fut enfermé n'est plus qu'un amas de pierres calcinées. Pauvre pays si joli, demain tu n'auras plus une seule maison qui ne soit brûlée.
Ne trouvant personne à Varennes je suis obligé de continuer ma route en me dirigeant sur Boureuilles. Un soldat très légèrement blessé au pied m'aide un peu à marcher. Je lui fait cadeau de ma montre.
Une batterie d'artillerie se trouvait environ à mi-chemin , sur le bord de la route, entre Varennes et Boureuilles, les allemands la cherchaient et balayaient la route pour la trouver. Mon compagnon, marchant plus vite que moi me quitte sentant le danger. J'arrive donc seul près des artilleurs absolument épuisé et à bout de force, saignant abondamment. Je me couche dans le fossé sur le bord de la route, je n'ai même pas la force d'ouvrir ma capote. Passe une voiture au grand galop,je lui fais signe de me ramasser, mais le conducteur ne veut pas à cause du danger. Il préfère se sauver sans perdre un instant.
Un Maréchal des Logis ayant assisté à la scène, sous son canon où il faisait la carapace, indigné de la lâcheté du conducteur, saute sur son cheval et court au galop après la voiture et force en le menaçant de son revolver le conducteur à venir me chercher.
Me voilà donc en voiture et au galop nous traversons Boureuilles nous dirigeant sur Neuvilly où se trouve la première ambulance. Les cahots de la voiture me font beaucoup souffrir mais qu'importe !!.
Je rencontre Fildier sur la route, il est content de me voir blessé sans gravité. Quel véritable ami !.
Arrivé à Neuvilly, il faut refaire le pansement, celui que j'ai étant déjà tout rouge. On me fait même une petite ligature.
Une heure après, une ambulance automobile vient nous prendre et nous conduit à Aubreville où nous restons dans une grange jusqu'à 5 heures. Je retrouve là Pradalès, blessé au bras le matin.
Installé sur un brancard, on me porte jusqu'au train et on me couche sur une banquette d'un wagon de 1 ère classe.
Vers 8 heures le train part, quel soulagement !. La guerre est finie pour moi, dis-je à mon voisin. Pas du tout, le premier acte seul venait de se terminer.
Après 36 heures de chemin de fer, nous débarquons à Lyon, où on nous conduit en tramway à l'école de santé militaire.

Dans une lettre à sa mère, il raconte sa blessure.

- Lyon le 25/9/14.

Je vais te dire ce que j'ai et mon état exact : une balle en plomb d'environ 1 cm de diamètre est entrée un peu brusquement dans mon genou gauche sur le devant, elle est remontée dans la cuisse d'environ 20 cm. Ma jambe est légèrement enflée et le pied aussi, mais rien n'est cassé. Ma jambe au repos ne me fait aucun mal, mais dés qu'elle remue je souffre beaucoup. J'en ai pour 1 mois environ et si au bout de ce temps je puis remarcher, j'irai retrouver les débris de mon régiment, il n'en reste pas beaucoup. Si je ne suis pas très valide j'irai probablement en convalescence à Paris.
Nous sommes soignés par des médecins maîtres de la science, des infirmiers et infirmières les secondent, tout le monde est gentil et plein de prévenance. La nuit une infirmière nous veille, le jour ce sont des dames de M.M. les officiers, gentilles aussi, complaisantes également, un peu pimbêches et surtout bavardes.
De 2 à 3 heures nous recevons des visites, des dames lyonnaises viennent nous voir et nous interroger sur nos exploits.

 

Ma mère n'a pas reçu cette lettre puisque le lendemain elle arrivait à Lyon avec mon frère Louis.

- Le 26 septembre je fus opéré, il fallu 20 minutes pour extraire la balle. Je ne fus pas endormi et les quelques instants passées sur le billard me laisseront un douloureux souvenir.
Ma Mère n'est restée hélas que 5 jours à Lyon........

- Le 9 octobre, mes plaies étant cicatrisées, l'on m'a évacué sur un autre hôpital : Institution Lamartine à Oullins, hôpital temporaire N° 13. Le médecin m'a rouvert mes plaies et a retrouvé dans ma cuisse un morceau de pantalon et de capote.

- Le 26 novembre, je fus évacué sur mon dépôt de Montargis, où je suis resté 3 mois sans rendre aucun service. Je suis allé 2 fois à Paris en permission de 24 heures.
Dirigé sur un dépôt de convalescents à Auxerre, j'obtins un congé de convalescence d'un mois. Je puis dire que je suis favorisé.
Les 3, 31, janvier 1914 et le 14 mars 1915, les 4 militaires Drouet se trouvent réunis dans leur petite Patrie de la Folie Méricourt.

Presque rétabli, je retourne à mon dépôt le 4 avril 15. Je ferai une demande pour passer Sous-Lieutenant et j'espère retourner sur le front avec ce grade.
J'ai foi en mon étoile et le pressentiment qu'après la victoire, nous reviendrons tous intacts de cette terrible guerre, heureux d'avoir combattu pour notre Patrie que nous aimons tant et l'indépendance de notre France.

Paris le 31 mars 1915.
Signé P-A. Drouet.

NDLR :Sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Erwin_Rommel#Dans_l.27arm.C3.A9e_imp.C3.A9riale

Biographie de Erwin Rommel, il est écrit : Le 24 septembre, il reçoit sa première blessure alors qu'il se bat seul contre trois soldats français, dans un bois, en Argonne, près de Varennes, poussé une fois de plus par son intrépidité à s'avancer un peu trop. Il est d'ailleurs proposé par son chef de bataillon pour la croix de fer de 2e classe et la reçoit

 

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