Marvéjols 28 septembre 1914.
Cher petit père.
J'ai bien reçu ta lettre du 9 et tes cartes etc.... Je
suis fort occupé car nous sommes très peu d'officiers
pour beaucoup d'hommes. Je suis toujours au dépôt
de Marvéjols. On parle de l'envoi d'un nouveau renfort,
mais nous n'en connaissons ni la date ni la composition de sorte
que je ne sais pas si j'en serai... Tu vois par les nouvelles
que nous sommes en position favorable, et, malgré la lenteur,
j'espère que le résultat sera bon... J'ai des nouvelles
de Pouancé et d'Alfred mais on n'a rien de Marcel. Je suis
assez inquiet sur son sort, car un long silence est anormal. Enfin
s'il n'est plus de ce monde, il aura souffert moins longtemps,
mais il en serait très malheureux à cause des siens.
Ducouret est parti de Fontainebleau avec le second renfort dans
les derniers jours d'août, pour Montereau. De là,
après quelques jours ils ont rejoint le front. Hier j'ai
appris qu'il a été blessé par 5 shrapnels.
Il n'a pas eu de chance, car il a reçu cela le lendemain
de son arrivée sur le front, juste au début de la
marche d'approche. Je ne sais pas à quel hôpital
il se trouve, c'est assez grave, mais il doit, paraît-il
s'en tirer très bien. J'ai causé hier à un
officier de notre régiment de réserve, le 246, (c'est
lui qui m'a donné des nouvelles de Ducouret) et qui revenait
de Soissons où ils sont continuellement sous le feu de
l'artillerie, jour et nuit. Ce fut très dur et il parait
que les dégâts commis par les allemands dans la ville
sont épouvantables, ils ont tous détruit. D'après
la marche des événements, il semble que ce sera
très long et nous ne sommes pas au bout de nos peines.
Mais c'est bien de notre faute, à cause de notre politique
et si au lieu de perdre notre temps à voter des lois idiotes,
à mettre les curés à la porte et à
penser à la paix, nous avions travaillé comme les
allemands, nous n'en serions pas là. Notre aviation et
notre artillerie lourde, tout cela est sur le papier et s'est
endormi dans les commissions. Vraiment, ceux qui préconisaient
le service de 2 ans peuvent se vanter de nous avoir mis dans un
joli pétrin. Heureusement que tout le monde est décidé
à en sortir, mais cela va nous coûter cher. Je suis
excessivement bien reçu chez mon propriétaire, c'est
un notaire : Me. Rouchy, et je pense qu'il serait très
bien que tu lui adresses un petit mot de remerciements en lui
disant combien vous êtes heureux de me savoir si bien soigné
chez eux...
Je t'embrasse...
Louis